Anna Buryachkova • Réalisatrice de Forever-Forever
“Je cherchais de la magie”
par Marta Bałaga
- VENISE 2023 : Les enfants ne vont pas si bien que ça dans le film de la réalisatrice ukrainienne, mais au moins, ils continuent de se battre

C’est la fin des années 1990 à Kiev, et Tonia (Alina Cheban) vient d’arriver dans une nouvelle école. Elle cherche des amis, de l’amour, et à se sentir protégée contre toute menace qui roderait dans ses parages. Elle trouve tout cela assez rapidement, après avoir été acceptée par une nouvelle bande de copains. Mais Tonia doit tout de même surveiller chacun de ses gestes. La réalisatrice ukrainienne Anna Buryachkova nous parle de son film Forever-Forever [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Anna Buryachkova
fiche film], qui a été projeté dans la section Orizzonti Extra de Venise.
Cineuropa : Quand le film était encore en développement, vous avez mentionné qu’il serait sans doute plus sombre que les récits typiques sur l’adolescence, généralement produits aux États-Unis, mais pourquoi cet élément était-il important pour vous ?
Anna Buryachkova : En Ukraine, à chaque fois que je mentionnais les années 1990, tout le monde disait : "Aïe !". Ce fut une époque difficile. Après que le régime soviétique se soit enfin écroulé, tout a été très chaotique. J’étais encore très jeune, mais je me souviens que les gens avaient peur de sortir. Ils avaient peur de qui ils allaient rencontrer. Quand on est adolescent, on cherche toujours le côté positif. On veut danser, on a hâte de vivre sa première histoire d’amour, mais qu’est-ce qui se passe quand vous vivez dans le noir, et que tout le monde autour de vous est déjà corrompu par lui.
Tonia est un personnage fascinant, principalement parce qu’elle est très proactive, y compris s'agissant de sa sexualité, ce qui est assez formidable à voir.
En tant que femmes, nous nous sommes toutes entendu dire qu’il fallait trouver quelqu’un qui rendrait notre vie plus facile, notre "moitié". À l'époque, ça avait aussi un autre sens : il fallait trouver quelqu’un parce que si on était seule, s'il n’y avait personne d’autre pour vous protéger, vous pouviez avoir des problèmes. Vos parents étaient occupés, donc il fallait chercher de l’aide ailleurs. Je pense que c’est de là que vient ce comportement.
Par rapport au sexe, je pense vraiment qu’elle aime ça. Au début, elle se sent sous pression, donc ensuite, elle veut "réparer" ça. D’une certaine manière, elle est très courageuse d'essayer encore une fois. Vous avez mentionné les films et séries d’ados américains, et on les regardait aussi en Ukraine. C’était comme regarder une vie complètement différente. Soudain, les gens avaient des relations sexuelles ! Oh waouh ! Pendant l'ère soviétique, les gens faisaient semblant que le sexe n’existait pas.
Ce n'est pas évident de représenter ça avec justesse, et Alina devait être tout à la fois : une fille cool et aussi une étrangère au lieu qui est apeurée. Que cherchiez-vous pendant le casting ?
Je pense que je cherchais de la magie. Vous avez raison : ce n'est pas un rôle facile. Tous les autres personnages sont un peu plus faciles à décrire. J’ai trouvé Alina sur Instagram, et quand elle est entrée, nous avons tous su que c’était elle qu’il nous fallait. Elle était ce personnage parce qu’elle est très compliquée aussi. On pourrait dire que je cherchais de la magie, et ça s’est produit. De toute façon, faire des films, c'est une question de magie.
Je pense vraiment qu’en Ukraine, la jeune génération offre encore de meilleurs acteurs. Ils sont plus ouverts, plus flexibles. Je suis tellement fière de leurs interprétations dans le film. Nous n'avons pas vraiment répété avant : nous avons juste joué à des jeux. Il suffit de leur laisser de la place, et ils passeront le seuil d'eux-mêmes.
Ils sont bien obligés, car les adultes sont absents de cette histoire. Chaque interaction avec eux est décevante.
Quand nous écrivions le scénario, nous avons essayé de nous rappeler si nos parents étaient dans les parages, et la réponse était non, pas vraiment. Ils essayaient de nous procurer le nécessaire pour vivre, c’était leur priorité, mais de fait on se sentait seuls. Je me souviens que ma maman préparait le petit-déjeuner le matin, mais après, je devais tout faire toute seule. Il y avait des familles où les parents étaient plus présents, mais c'était rare. C’était notre réalité, à l'époque.
Les années 1990 sont en vogue en ce moment. Quelle importance avez-vous donné aux détails d'époque ?
Je voulais éviter tous les éléments modernes, ce qui n’a pas été facile : tous les lieux possibles ont été soit modernisés, soit démolis. Nous avons dû reconstruire beaucoup de choses, à vrai dire. En même temps, nous ne voulions pas faire un film trop nostalgique, donc au bout du compte, la seule chose qui est différente est l’absence de gadgets. À l’époque, on n'avait que les cassettes VHS !
Et ils les utilisent. Au lieu de vous concentrer sur un événement en particulier, vous laissez ces gamins vivre : vous les montrez à des fêtes, à l’école, chez eux. C’est ce dont leur vie est faite.
Je suis convaincue que des petits gestes et des petites décisions peuvent affecter toute notre vie. On peut faire une erreur, se conduire comme un imbécile, et ne pas s'attendre à ce que ça vienne tout bouleverser, mais quand on réunit tous ces moments, ils affectent vraiment le parcours de Tonia.
(Traduit de l'anglais)
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