Mika Gustafson • Réalisatrice de Paradise Is Burning
“Peu à peu, une pensée a fait son chemin en moi : et si je pouvais peindre ce tableau moi-même, celui d'une amitié féminine à un jeune âge, d'une sororité ?”
par Jan Lumholdt
- VENISE 2023 : La réalisatrice partage quelques pensées sur la manière dont elle a envisagé son nouveau film, qui parle de trois jeunes soeurs livrées à elles-mêmes, sans parents pour s'occuper d'elles

Cette année, Mika Gustafson fait seule ses premiers pas en tant que réalisatrice de fiction, avec la présentation en avant-première de Paradise Is Burning [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Mika Gustafson
fiche film] dans le volet Orizzonti de la 80e édition de la Mostra de Venise. Le film, qui s’articule sur l’histoire de trois jeunes sœurs livrées à elles-mêmes, sans parents pour s’occuper d’elles, possède ce caractère onirique, qui se heurte parfois à la dure réalité. La réalisatrice s’est confiée sur sa manière de percevoir les choses, empruntant parfois la stratégie du "montrer, sans raconter".
Cineuropa : Commençons par la traditionnelle question "quel effet cela fait-il ?" Vous venez de présenter votre premier long-métrage de fiction. Êtes-vous contente ?
Mika Gustafson : Oui. Mais ce que j’ai très envie de faire là, c’est de vous demander ce que vous en avez pensé ? J’ai dû le voir 300 fois en salle de montage, mais le film rencontre enfin le public, et je suis curieuse de connaître leur réaction. Alors ? Est-ce que ça marche ? La projection était fantastique, la sonorisation à elle seule était incroyable. Je me suis assise avec les spectateurs, j’ai écouté leurs réactions. Certaines étaient prévisibles, d’autres non, ce qui m’a fait plaisir. J’ai lu quelques critiques. Lorsqu’elles évoquent ma perception ou du moins ce qui, je l’espère, constitue ma vision des choses, cela me ravit.
Quelles sont certaines de ces visions, si j’ose m’aventurer sur ce terrain ?
Elles sont nombreuses, c’est le moins qu’on puisse dire. L’une d’entre elles, c’est que je voulais trois enfants sans expérience d’acteur, qui devaient donner l’impression d’être constitués de chair et d’os et être crédibles. Je commence à me lasser des personnages copiés, dénués d’authenticité. J’ai également utilisé la stratégie du "montrer sans raconter", avec laquelle nous pouvons nous rapprocher de ce qui est vivant et réel.
Regardons l’embryon de l’histoire. Où a-t-elle commencé ?
C’est quasiment un collage de réflexions et d’idées. Il y a l’idée qu’au fil des ans, on a vu un grand nombre de récits d’apprentissage, en général celui du jeune garçon qui devient un homme. Voilà un film que j’ai vu très souvent, parfois merveilleusement exécuté, comme Stand by Me, qui fait quasiment un sans-faute. C’est l’histoire de la jeune fille qui devient une femme qui manque un peu pour moi. Peu à peu, une idée a germé en moi : et si je pouvais peindre ce tableau moi-même, celui d'une amitié féminine à un jeune âge, d'une sororité ? Cette pensée m’a motivée. Je me suis mise à ébaucher le caractère de mes personnages. Pouvaient-ils être à la fois agressifs et bienveillants, drôles, et réalistes dans leur manière de penser ? Parfois, en cours d’écriture, mon partenaire de plume, Alexander Öhrstrand et moi nous amusions avec le sexe des personnages, juste pour voir si cela impacterait la dynamique du film. D’une certaine façon, je voulais une certaine absence de genre, car ces personnages ne sont, en fin de compte, que de simples êtres humains.
Vous avez utilisé l’expression "montrer sans raconter". Cet aspect du scénario est révélateur et intéressant. Ce que nous voyons est en fait le sommet de l’iceberg avec, dissimulée sous la surface, une énorme masse. On nous donne très peu d’informations, par exemple, concernant les parents des filles. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Plus vous en savez sur les personnages, moins vous avez à montrer. Avec Alex, nous avons réuni énormément de matériel pour l’histoire, intégrant des histoires en arrière-plan qui ne sont pas évoquées dans le film lui-même. Nous avons écrit et testé tout ça, nous en avons retiré quelques-unes et gardé certaines. Alex est un acteur, il apporte donc sa contribution en tant que tel. En ce qui me concerne, en tant que réalisatrice, j’essaie de réfléchir si une idée peut effectivement fonctionner "dans le contexte". Nous choisissons les lieux que les personnages fréquentent, et nous leur créons même une liste de musique personnalisée. C’est véritablement la partie visible de l’iceberg. Un jour, qui sait, nous pourrons en faire un roman avec une histoire complète. Nous y avons pensé, ou du moins, nous en avons plaisanté.
Il y a aussi quelques scènes qui s’aventurent dans une direction onirique, bien loin du style socioréaliste du film. Lorsque la cadette a ses premières règles et que la benjamine perd sa dent de lait. Ces événements sont célébrés par des cérémonies merveilleuses. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
C’est effectivement ce que nous pensions. Combiner une réalité sociale et un caractère hors du commun. Nous sommes en présence de trois sœurs, qui ont respectivement 16, 12 et 7 ans, et qui vivent ces transformations à différents stades de l’enfance ou des prémisses de leur féminité. "Pourquoi pas une cérémonie", a suggéré Alex. Nous avons donc créé une cérémonie sur mesure qui s’est avérée parfaite. Cela confère une certaine fierté aux personnages. Si elles peuvent parfois être malheureuses, elles font ce qu’elles veulent culturellement.
(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)
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