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VENISE 2023 Hors-compétition

Luca Barbareschi • Réalisateur de The Penitent

“Je veux du sang”

par 

- VENISE 2023 : Le producteur italien, auquel on doit notamment The Palace de Roman Polanski, se lance dans la mise en scène avec un film adapté d'une pièce de David Mamet

Luca Barbareschi  • Réalisateur de The Penitent

The Penitent - A Rational Man [+lire aussi :
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, tiré de la pièce de David Mamet, projeté hors-compétition à Venise, suit un psychiatre qui se retrouve au beau milieu d'une tempête médiatique après qu'un de ses patients soit devenu un tueur. Il sait très bien que tout ce qu’il dit (ou ne dit pas) pourra être utilisé contre lui. Le réalisateur Luca Barbareschi nous en dit plus sur son nouveau film.

Cineuropa : Beaucoup de gens rêvent de jouer avec les mots de Mamet, mais ce n’est pas facile : il compose des histoires intimes et chargées en dialogues.
Luca Barbareschi: Je traduis ses travaux depuis plus de 40 ans (ses livres, ses pièces…). Je connais David, et je connais tous les pièges. C’est un génie absolu. C’est comme avec Mozart : pas besoin de correction. Mais c’est un scénario de cent pages plus cent autres pages de ce qui n'est pas dit. Cela rend son travail intéressant pour les acteurs, parce que ça leur laisse de la place pour montrer leurs émotions.
Ça donne à peu près ça :
– Quoi ?
Courte pause. Points de suspension.
– Oui ?
Points de suspension.
– Alors va te faire foutre et donne-moi du café !

Si vous êtes un bon acteur, vous comprenez pourquoi les pauses sont là. Dès qu’on a compris ça, c’est comme déterrer de l’or. Mamet est comme Tchekov : on découvre quelque chose de nouveau à chaque fois.

Il y a certainement de la place pour que les acteurs conversent point barre, sans rien d'autre qui ne vienne détourner votre attention.
Ça pourrait être ma vie ou la vie de ce personnage – j’ai vécu le même type de diffamation, la même horreur. C’était une bonne occasion de parler enfin de toute cette folie, parce que nous sommes fous ! L'Europe est en train de se tuer elle-même. En matière de "cancel culture", je lis des choses qui n’ont pas de sens.

Vous en parlez beaucoup, y compris s'agissant de réalisateurs dont vous avez produit les films. Vous continuez de travailler avec eux.
J’ai aussi été attaqué et je me suis demandé : "Mais c'est une blague ?". C’est comme ce qui s’est passé avant la première de Woody Allen. Je suis pas surpris que certains idiots lui ait crié dessus, mais je suis bel et bien surpris que le Corriere della Sera ait décrit cela comme une sorte de révolution. Si ces journalistes veulent être des grands prêtres de la communication, il faut qu’ils soient un peu sérieux. S’ils veulent être rock ‘n’ roll, après il ne faudra pas qu'ils se plaignent si personne ne les lit plus. Woody Allen n’a jamais été inculpé, donc qui sont ces gens ? Présentez-vous. Prenez vos responsabilités au lieu de vous cacher derrière un surnom du genre “wolf69”.

Vous dites que "l'Europe est en train de se tuer elle-même", mais c'est une évolution d'ampleur mondiale. On ne peut pas l’arrêter.
La "cancel culture" adore les sociétés réprimées. Elles n’achètent pas les films de Polanski, ne veulent pas les produire, mais les regardent quand même. C'est faire deux poids, deux mesures. Le fait que son dernier en date n’ait même pas été financé par la France est une insulte. Quelle est la différence entre le Polanski de J'accuse [+lire aussi :
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 et le Polanski de The Palace [+lire aussi :
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?

Ça ne change pas, parce que beaucoup pensent que c’est une révolution, mais c'est de la pensée magique, or l'Europe a été fondée sur la logique, pas sur des ragots. Qu'un docteur en philosophie me contredise, sinon qu'on me file juste un coup de massue sur le ciboulot.

Vous avez tourné le film en anglais, donc je suppose que vous pensiez au-delà des frontières européennes ?
J’adore New York et j’aimais l'idée d’être là-bas. Il y a toute cette solitude et cette presse agressive là-bas. Qu'ils vous nomment une fois, et vous êtes cuit [mime un coup de revolver]. Et puis ils passent à autre chose, mais le gros titre reste. Nous sommes en train de nous américaniser dans ce sens, quoiqu'on n'ait pas la même violence, pas encore. J’attends que quelqu’un se réveille et dise : "Nous avons un problème : les armes à feu". Mais non, on préfère appeler le tueur une victime de la société et chercher un autre bouc émissaire. En Amérique, ils refusent tous la douleur et continuent de prendre toutes sortes de comprimés, mais on a besoin de la douleur si on veut grandir. Je veux du sang. Qu’ils aillent se faire foutre.

C’est qui exactement, "ils" ?
Tous, qu’ils aillent tous se faire foutre ! Je m'en cogne. Je ne suis pas le seul à en avoir marre de toutes ces conneries, on est beaucoup. Je réalise des films, je joue, je produis, je prends mes responsabilités. Voilà ce que je dis. Je ne veux pas que mes enfants aient peur, même si l’antisémitisme revient, en force qui plus est. Qui l'eût cru ? Paris est dangereux maintenant. Paris ! Je sais que Voltaire était antisémite, mais quand même. Il faut revenir à l'art, à la culture, à l'éducation, il faut apprendre aux enfants comment on formule une pensée. Les types qui ont inventé TikTok et Facebook ? Ils mériteraient la prison. Hier soir, je dansais, j’ai enlevé mon T-shirt et j’ai vu un tas de gens qui sortaient leurs téléphones. J'ai demandé : "Vous êtes des drogués ou quoi ?". Dansez, embrassez-vous, baisez. C'est le selfie, votre nouveau dieu ? Il faut parler au lieu d'avoir peur. Si vous avez peur, on peut vous contrôler.

(Traduit de l'anglais)

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