Dominique Abel & Fiona Gordon • Réalisateurs de L’Etoile Filante
"Pour nous, c’est un film en noir et blanc avec des couleurs"
par Aurore Engelen
- L’inclassable duo parle de leur nouveau long métrage, qui injecte une dimension plus sombre à leur univers

Rencontre avec Dominique Abel & Fiona Gordon, inclassable duo qui revient avec L’Etoile Filante [+lire aussi :
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fiche film], un cinquième long métrage dans la lignée poétique et burlesque de leurs précédents, mais qui injecte une dimension plus sombre à leur univers. Ils se confient sur ce nouveau film, présenté en compétition au Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), après avoir été dévoilé en première mondiale sur la Piazza Grande de Locarno.
Cineuropa : Quelles sont les origines de ce projet ?
Dominique Abel : C’est un film particulier pour nous, parce que c’est le premier que nous avons écrit ! Dans les années 80, nous faisions une pièce de théâtre, un polar. Cela nous amusait à l’époque de penser que l’on pourrait transposer cet humour et ce suspense sur le grand écran. Mais c’était assez naïf de notre part, car nous n’avions jamais fait de cinéma, et c’était un peu ambitieux comme premier long métrage. Alors on a continué à faire du théâtre, on a fait des courts métrages, écrits d’autres longs métrages aussi. Peut-être que ce qui nous empêchait de le ressortir, c’est que le polar était trop prégnant. Ce n’est qu’au bout de quatre longs métrages, et avec l’âge aussi surement que l'on a trouvé la solution.
Fiona Gordon : On a aussi l’impression que la période que l’on connaît aujourd’hui, assez tumultueuse, fait écho à ce qu’on a connu dans notre jeunesse. On est troublé, en colère, on a le sentiment que rien ne change. Quand on avait 20 ans, il y avait les cellules communistes combattantes, les Brigades rouges, beaucoup de protestation, et on se rend compte qu’en fait rien n’a changé. On voulait parler de ça aussi, mais à notre manière. Ne pas faire la morale, mais donner à voir la détresse que peut créer un monde injuste.
C’est un film très drôle, et très sombre. Pourquoi avez-vous eu envie d’injecter cela dans votre cinéma ?
F.G. : C’est un défi. Pour notre cinquième film, on voulait expérimenter, faire des choses différentes. Mais on est très attachés au côté formel du cinéma. On regarde pas le monde par un angle particulier, on le voit plus comme un livre, dont on tourne les pages, à chaque page son tableau. Ça nous fait pleurer ou ça nous fait rire.
Dans le film noir ou le polar, quelles sont les images ou les archétypes qui vous ont inspirés ?
D.A. : La brume, les ombres…
F.G. : Le whisky !
D.A. : Les armes, la séduction, la trahison. Ce sont de magnifiques motifs de jeu. Le thème du désenchantement aussi. On aimait bien aborder des personnages ambigus, qui trainent le poids de leur culpabilité comme un boulet.
F.G. : Cela dit, on a bien conscience du fait que nous, nous ne pouvons pas écrire un polar, nous sommes avant tout des clowns ! On ne peut pas faire non plus de parodie. Notre humour n’est pas dans le sarcasme. On veut laisser vivre notre forme d’innocence.
D.A. : C’était gai pour nous de jouer avec le motif du retour incessant du méchant, armé en plus.
Une arme, mais à l’envers, il y a toujours un petit twist qui fait que ça ne fonctionne pas, comme une interférence ?
F.G. : Il faut qu’il y ait un grain de sable. Le fait que ça ne marche pas comme prévu, c’est la base de la mécanique du clown.
D.A. : La surprise est à l’origine du rire, chez nous.
Comment avez-vous travaillé la rencontre entre votre univers très coloré, et le film noir ?
F.G. : On a voulu sortir des couleurs primaires, tout en ayant des couleurs intenses, un jaune moutarde, un rouge bordeaux. Pour nous, ces couleurs intenses vont avec le polar, ce ne sont pas des couleurs franches, mais des couleurs un peu nuancés. Le noir et blanc dans les polars est souvent très tranché, ce n’est pas grisâtre, il y a des ombres très noires, des lumières très fortes. Pour nous, c’est un film en noir et blanc avec des couleurs.
Quel est le secret de la fabrique de vos films, d’où vient ce goût de l’artisanat ?
D.A. : De la pauvreté je crois (sourires). On vient du théâtre, un média où on n’a pas accès au réel, donc on doit utiliser l’imaginaire des auteurs, des acteurs, et du spectateur aussi pour boucher les trous. On fait semblant, dans la connivence. C’est quelque chose de presque enfantin, mais qui est très sensible, on voulait préserver cette sorte de naïveté.
F.G. : On est profondément des bricoleurs. Nos films sont bricolés ! On n’a pas d’idées fixes au départ. Ce sont des graines d’idées, et on accueille ce qui se passe en répétition.
D.A. : L’exigence va se placer dans le choix des acteurs. Le casting est essentiel, car on ne peut pas tordre le bras à un acteur. On cherche des gens qui ont cette capacité d’émouvoir par leur différence.
F.G. : On est intransigeant sur la sincérité du jeu. On ne sacrifierait jamais ça pour un rire. D’ailleurs, s’il n’y a pas de sincérité dans le jeu, ça ne nous fait pas rire. Il faut souvent être très simple dans la direction d’acteurs. C’est de cette sincérité que vient le rire et l’émotion.
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