BLACK NIGHTS 2023 Compétition Premiers Films
Petr Hátle • Réalisateur de Mr. and Mrs. Stodola
"La suggestion ou la représentation mentale de la violence peut être bien plus intéressante et terrifiante"
par Martin Kudláč
- Entretien avec le réalisateur tchèque sur son passage du documentaire à la fiction, sur le "true crime" et la violence, et le casting de tueurs en série célèbres

Le documentariste tchèque Petr Hátle fait ses débuts dans le cinéma de fiction avec Mr. and Mrs. Stodola [+lire aussi :
critique
interview : Petr Hátle
fiche film], qui raconte l’histoire d’un couple de tueurs en série. À l’occasion de la présentation du film dans la compétition Premiers Films du Festival Black Nights de Tallinn, Cineuropa s’est entretenu avec le réalisateur.
Cineuropa : La scène du documentaire tchèque est en bonne santé en ce moment. Pourquoi avez-vous décidé d’aborder l’affaire Stodola à travers un film de fiction, surtout compte-tenu du fait que le projet devait initialement être un documentaire ? Est-ce un cas isolé, ou est-ce que vous prévoyez de continuer à réaliser des films de fiction ?
Petr Hátle : La décision de relater l’affaire Stodola sous forme de fiction s’est présentée naturellement pendant la phase de recherches. Je n’ai arrivais pas à trouver de manière convaincante de documenter l’affaire qui permette de proposer une perspective nouvelle sur une controverse bien connue. Opter pour un récit fictionnel (quoique profondément ancré dans le réel) m’a permis de me concentrer plus précisément sur les aspects de l’histoire qui m’'intriguaient : la relation et le mariage des Stodola, et leur descente conjointe dans les ténèbres.
Au moment d'écrire le scénario, comment envisagiez-vous de traiter cette histoire ? Vous vous concentrez sur leurs crimes et leur capture, sans évoquer le passé de Danina.
Mon coscénariste Tomáš Hrubý,et moi-même avons passé énormément de temps à délibérer sur la manière d’aborder l’histoire et la perspective à choisir pour la raconter. Le genre polar, qui aurait amené à relater l’affaire Stodola sous l’angle de l’enquête de police, était un choix évident, mais je trouvais cette approche assez simpliste, et il me semble que le panorama médiatique est déjà saturé d’histoires de détectives. Nous avons décidé d’emprunter une voie différente, en racontant l’histoire selon la perspective des meurtriers eux-mêmes et en explorant leur sombre histoire d’amour.
La tendance est actuellement au true crime, et la demande est forte. Pourquoi avez-vous choisi spécifiquement l'affaire Stodola ?
Les crimes et autres expériences extrêmes m’ont toujours intrigué, surtout quand ils viennent d’événements réels, car ils acquièrent un caractère encore plus glaçant et fascinant. On montre une chose qui pourrait réalistement toucher n'importe qui. Les Stodola sont intrigants parce qu'ils ont commis leurs crimes en couple, ce qui est peu commun. Typiquement, les meurtres en série sont commis par des hommes, pour lesquels ils tendent à être une expérience très personnelle et intime qu'ils ne partagent avec personne. À l’inverse, les Stodola agissaient ensemble, et les meurtres se sont mis à faire partie de leur vie conjugale quotidienne. Ces crimes étaient un ciment dans leur relation, un secret partagé sans échappatoire possible.
Vous n’avez pas complètement abandonné votre style documentaire. Qu’est-ce qui vous a amené à choisir cette approche formelle en particulier ?
En tant que documentariste, j’ai toujours préféré rester aussi proche de la réalité que possible, en observant les événements et en en faisant partie. En dépit de cela, les documentaires que j'ai faits ont parfois été décrits par le public et la critique comme des travaux brouillant les frontières des genres. J’aime styliser mes films et demande souvent aux sujets de rejouer ou de reconstituer pour moi des situations survenues dans le passé. La ligne qui sépare le documentaire et la fiction est incroyablement mince et de plus en plus dure à définir dans le cinéma contemporain. Mr. and Mrs. Stodola est certainement plus un film de fiction que mes travaux précédent, mais il est ancré dans des moments clefs spécifiques dans la vraie vie des personnages que j'y dépeins. Le film contient de nombreux détails qui collent précisément aux descriptions trouvées dans les dossiers de police. Nous avons tourné dans des lieux authentiques, dans des maisons abandonnées situées dans la région où les meurtres se sont produits.
Les films true crime et les portraits de tueurs en série sont souvent critiqués pour la manière dont ils exploitent les faits et leur format de "documentaires sur une célébrité". Vous semblez éviter les conventions, notamment en choisissant de ne pas montrer la violence. Qu’est-ce qui vous amené à décider de procéder ainsi ?
Personnellement, en tant que spectateur, je ne cherche pas spécialement à voir des scènes violentes ou sanguinolentes. Souvent, la suggestion ou la violence qu'on imagine peut être beaucoup plus intéressante et terrifiante. Par exemple, quand la violence se produit hors champ, dans la pièce d’à côté, ou qu'elle se reflète dans l’expression d’un personnage. La critique dénonçant le côté exploiteur du genre true crime est valide. Montrer des choses qui sont arrivées à de vraies victimes et leurs familles à l’écran est intrinsèquement discutable sur le plan éthique. Dans mon travail, je réfléchis souvent à cela et j’essaie d'identifier les limites : qu’est-ce qu'il est acceptable de montrer ? Qu’est-ce qu'il est préférable de taire ? Quels éléments faut-il éviter de montrer ?
(Traduit de l'anglais)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.