Carmen Jaquier & Jan Gassmann • Réalisateurs de Les Paradis de Diane
"Il faut rendre compte de la complexité de tous les personnages et de tous les points de vue existants"
par Giorgia Del Don
- BERLINALE 2024 : Les réalisateurs suisses nous parlent de leur première collaboration en tant que duo et de l’importance de montrer des parcours de vie qui s’écartent de la norme

À l’occasion de sa première internationale à la 74e Berlinale, dans la section Panorama, nous avons discuté avec Carmen Jaquier et Jan Gassmann de leur courageux nouveau long métrage Les Paradis de Diane [+lire aussi :
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fiche film]. Le film raconte l’histoire d’une femme qui, après avoir accouché, décide de tout quitter et de fuir à la recherché de sa propre vérité.
D’où naît l’idée de tourner un film sur la complexité de la maternité et plus en particulier sur son refus ?
Carmen Jaquier : L’idée du film est née il y a déjà quelques années. À cette époque, je me suis confrontée à un récit qui m’a fait réfléchir aux tabous liés à la maternité, celui d’une personne qui a caché une dépression post-partum à son entourage. En parallèle, j’ai regardé à nouveau Wanda de Barbara Loden, et qui, dès le début du film, met en scène une femme qui refuse la maternité. Avec ces questionnements en tête, j’ai écrit, de façon instinctive, une première version du scénario. Jan l’a rapidement lu. Je sentais que le film, ainsi que le personnage principal, sa vérité, avaient besoin d’être ancrés dans le réel. J’ai alors pensé que ça aurait été très intéressant de faire dialoguer l’univers artistique de Jan, influencé par le documentaire, avec le personnage de Diane. À partir de là nous avons commencé à mener des recherches et à nous renseigner sur le sujet, qui n’était pas vraiment débattu dans la sphère publique en 2016 quand le projet a commencé. Nous avons aussi mené des interviews avec beaucoup de femmes, de façon très franche, sur leurs expériences de la maternité.
Pourquoi tourner un film à deux et comment s’est développé votre collaboration ?
Jan Gassmann : Je trouve que la façon d’écrire de Carmen est très différente de la mienne, plus décalée, plus onirique - elle me fascine. J’avais envie de rentrer en contact avec son univers.
C.J. : Le fait d’avoir des références cinématographiques communes, des références esthétiques très claires, nous a beaucoup aidé. Souvent, nous n’étions pas d’accord, nous avons dû débattre, comprendre le point de vue de l’autre et finalement nous poser la question de ce qui était mieux pour le film. On a essayé de ne pas faire de compromis.
Comment avez-vous choisi l’actrice principale du film ? Avez-vous travaillé beaucoup en amont, avant de tourner ?
C.J. : Quand nous avons rencontrés Dorothée de Koon, Jan a eu une intuition forte et il a immédiatement eu envie de la revoir. Pour moi ça a été différent, ce n’est que quand je l’ai filmée que j’ai senti qu’elle était notre Diane. Avec Dorothée, nous voulions éviter d’être trop concentrés sur la psychologie. Le travail que nous avons fait ensemble s’ancrait vraiment dans le corps. Diane est en mode survie, elle agit. Les vêtements qu’elle porte et qui sont très importants dans la construction du personnage, deviennent une sorte de seconde peau. Nous voulions qu’à Benidorm elle ait un camouflage, qu’elle soit de la même couleur ocre que les murs de la ville, que sa tenue n’attire pas les regards. Le choix des baskets est aussi significatif, on n’entend pas le bruit de ses pas, elle flotte, elle a une démarche particulière. Cette démarche un peu molle donne quelque chose de spécial au personnage.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le titre du film ?
J.G. : Les paradis, au pluriel, se réfèrent aux différents états dans lesquels Diane se trouve, ses différentes façons d’être au monde. Le paradis qui, à la base, est un concept religieux qui sous-tend une question de morale devient pluriel. Diane n’a pas un paradis mais plusieurs.
C.J. : Le titre fait aussi écho au film Les rendez-vous d’Anna de Chantal Akerman qui est une référence pour nous. Il a été très important pour l’écriture de notre film et même après. Nous admirons beaucoup le travail de Chantal Akerman dont Aurore Clément (qui interprète Rose dans le film) nous a dévoilé des détails inspirants. Les Paradis de Diane est le portrait d’une femme, pas celui des "femmes". Il faut juste accepter cette multitude de possibilités, rendre compte de la complexité de tous les personnages et de tous les points de vue existants.
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