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BERLINALE 2024 Berlinale Special

Nicolas Philibert • Réalisateur de Averroès et Rosa Parks

"Ces conversations dépassent le cadre de la psychiatrie car nous avons tous les mêmes angoisses et les mêmes peurs"

par 

- BERLINALE 2024 : Le documentariste français nous raconte pourquoi et comment il s’est immergé au cœur d’un hôpital psychiatrique, au plus près de la relation patient-soignant

Nicolas Philibert • Réalisateur de Averroès et Rosa Parks
(© Michel Crotto)

Ours d’or l’an dernier avec Sur l’Adamant [+lire aussi :
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, le célèbre documentariste français Nicolas Philibert est de retour en vitrine de la Berlinale, cette fois dans la section Berlinale Special, avec l’impressionnant Averroès et Rosa Parks [+lire aussi :
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, le second volet de son triptyque sur les troubles de l’esprit.

Cineuropa : Comment est née l’idée d’un triptyque ? Avez-vous tourné Averroès et Rosa Parks en même temps que Sur l’Adamant ?
Nicolas Philibert : L’idée de ce film à l’hôpital a surgi pendant le tournage de Sur l’Adamant. Je me suis dit qu’il fallait éviter de montrer l’Adamant comme un lieu isolé parce que ce n’est pas le cas. Ce centre de jour fait partie du pôle psychiatrique Paris-Centre qui inclut deux Centre Médico Psychologiques où les patients viennent en consultation, un centre de crise et deux unités hospitalières dans l’hôpital Esquirol de Charenton : Averroès et Rosa Parks. Les patients circulent d’un lieu à l’autre. Certains sont à l’hôpital et viennent parfois sur l’Adamant participer à un atelier. J’ai commencé à réfléchir à cette question de circulation et j’ai été rendre visite à l’hôpital à François et Olivier qu’on voit dans Sur l’Adamant. Ces visites se sont transformées petit à petit en repérages : j’ai commencé à rencontrer d’autres patients, à connaître un peu mieux les psychiatres, les équipes, etc. Et un beau jour, je suis allé voir le responsable du Pôle qui m’avait autorisé à aller sur l’Adamant et je lui ai dit que je voulais tourner un second film, cette fois à l’hôpital. Il a tout de suite accepté et j’ai eu une totale liberté : jamais personne ne m’a dit qu’il ne fallait pas montrer ceci ou cela, dans la mesure évidemment où les personnes que je filmais acceptaient de l’être.

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Avez-vous été surpris par l’intensité des consultations individuelles que vous avez filmées ?
C’est le plaisir de faire ce genre de films comme je l’ai fait, c’est-à-dire d’une manière très ouverte, improvisée, en laissant une belle place à l’imprévu. En psychiatrie, ce plaisir est garanti : on est tout le temps étonné par les personnalités que l’on rencontre, par leur singularité, leur étrangeté. Les clichés s’effacent tout le temps : on a affaire à des personnes complexes qui nous surprennent, qui nous déroutent, qui nous questionnent, qui nous inquiètent, qui parfois nous font peur, qui nous renvoient à nos propres limites, qui nous poussent à sortir de notre zone de confort. Mais les patients que j’ai filmés, je ne les ai pas choisis complètement au hasard : je l’ai proposé à celles ou ceux avec qui j’avais déjà un peu de connivence. D’autres me semblaient trop incohérents, trop délirants, trop mal, même si certains souhaitaient ardemment être filmé. Je réalise mes films à partir d’une éthique : filmer quiconque, c’est l’enfermer, figer dans une image à un moment précis de l’existence, et j’essaye de ne pas filmer le gens à leur insu, à leurs dépens. Je dis que j’essaye car on ne sait pas toujours ce que filmer quelqu’un va produire. On peut avoir les meilleures intentions du monde et blesser quelqu’un par maladresse. Ce n’est pas une science exacte, mais j’essaye d’être le moins nocif possible. on est en position de force avec une caméra. Comment ne pas abuser de ce pouvoir ? Les patients sont dans des situations fragiles. Cela demande d’être bien délicat.

Le film rend un très bel hommage aux soignants et à leur sens de l’écoute patiente et du dialogue.
Je les trouve magnifiques, chacun dans leur style. C’est un travail quelquefois très difficile, qui demande beaucoup de finesse, de souplesse, de temps. C’est cela qui est écrasé aujourd’hui : le temps à l’hôpital, ce temps que n’ont plus les soignants. Aujourd’hui, beaucoup d’infirmiers et d’aides-soignants désertent le secteur de la psychiatrie parce qu’ils ne peuvent plus exercer leur travail dignement. Ils sont de plus en plus contraints de faire de la surveillance, de la distribution des médicaments, de la paperasse. Or pour construire un lien avec un patient, il faut du temps, pouvoir être attentif, imaginatif, inventif. On ne peut pas faire ce métier correctement en traînant des pieds. Il faut être à la hauteur des patients car en psychiatrie, les gens que l’on rencontre vous poussent dans vos retranchements, ne se contentent pas de réponses toutes faites. Ils sont toujours en quête de sens, à la recherche de quelque chose qui va peut-être les apaiser. C’est pour cela qu’on est toujours sur la sellette, en alerte, ce qui est bien pour un cinéaste. Ce sont aussi des gens touchants par leur hyper-sensibilité et ils nous renvoient à nous-mêmes, à la violence et la noirceur du monde. D’une certaine manière, ces conversations dépassent le cadre de la psychiatrie car nous avons tous les mêmes angoisses et les mêmes peurs. Elles sont simplement exacerbées ici.

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