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BERLINALE 2024 Forum

Anja Salomonowitz • Réalisatrice de Sleeping with a Tiger

“Une biographie n'est jamais qu'une interprétation ; mon film ne prétend pas détenir quelque vérité que ce soit”

par 

- BERLINALE 2024 : Ce biopic atypique sur Maria Lassnig met en avant ses fascinants tableaux, mais aussi ses galvanisants accomplissements

Anja Salomonowitz • Réalisatrice de Sleeping with a Tiger
(© Heribert Corn)

Au moment de sa mort, en 2014, Maria Lassnig était non seulement une des peintres les plus connu(e)s d'Autriche, mais aussi celle qui a brisé le plafond de verre, ouvrant le passage à beaucoup d'autres femmes peintres après elle. On se souvient d'elle pour ses fascinants tableaux, mais aussi pour ses accomplissements et l'émancipation qu'ils représentent : en plus de coiffer au poteau ses collègues de sexe masculin sur le marché, elle a été la première professeure à enseigner dans une grande université d'art. Le biopic atypique Sleeping with a Tiger [+lire aussi :
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d'Anja Salomonowitz, qui a fait sa première dans la section Forum de la 74e Berlinale, rend hommage à Lassnig et à son art.

Cineuropa : Maria Lassnig compte parmi les artistes les plus important(e)s d'Autriche. Qu'est-ce qui vous a tant fasciné dans sa vie que vous avez eu envie de faire ce film ?
Anja Salomonowitz :
Il y a, à cette question, une réponse longue et une réponse courte. La réponse courte, c'est : les couleurs. J'ai vu ses tableaux à des expositions et j'ai trouvé leur côté criard et leur intensité ensorcelants, et ça m'a inspirée. C'est là que je me suis mise à faire des recherches sur sa vie. La réponse longue, c'est que je voulais interroger l'image qu'on se fait de l'artiste. On voit des films, dans les expos, qui montrent généralement un homme blanc, d'un certain âge, et qui sont réalisés d'une certaine manière. Je voulais rompre avec ce discours et enquêter sur les mécanismes à l'oeuvre dans le marché de l'art. Cette idée a abouti au film This Movie Is a Gift [+lire aussi :
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, mais en le préparant, je me suis intéressée à plusieurs artistes, dont Maria Lassnig, et elle a continué de m'habiter après.

Sauf dans quelques scènes, Birgit Minichmayr joue Lassnig à tous les âges sans que cela soit représenté physiquement. On ne peut donc jamais l'inscrire dans une époque spécifique. Ce qui est important ici n'est pas le quand, mais le comment.
Les gens disent que Lassnig avait la sagesse d'un adulte quand elle était petite et qu'elle est restée jeune en vieillissant. Ce qui je cherche à dire ici, c'est que l'âme erre. Les souvenirs et sentiments ne sont pas ancrés dans une époque en particulier. On peut faire des bonds en avant et en arrière dans le temps. Le film rend compte de ses mouvements intérieurs. Elle attend que le sentiment prenne forme en elle, et ensuite elle le transpose sur la toile.

Est-il difficile de traduire les sentiments qu'expriment un tableau dans un film ?
Un biopic est toujours une interprétation d'une vie. J'ai fait beaucoup de recherches et j'ai interviewé beaucoup de gens qui m'ont raconté leurs histoires, mais ces histoires sont toujours des souvenirs subjectifs. Une biographie n'est jamais qu'une interprétation. Mon film ne prétend pas détenir la vérité. C'est un sentiment que je voulais décrire. Tous les jours, Maria Lassnig allait dans son atelier, s'asseyait et attendait. On pénètre un flux de conscience qui n'a pas d'ancrage dans le temps ou l'espace. Pour moi, c'est là que se situe l'élan artistique.

En montrant des images spécifiques dans un certain ordre, vous jouez aussi le rôle d'une curatrice.
Maria Lassnig a connu (et pris part à) de nombreux mouvements artistiques du siècle dernier. Les expériences introspectives, ces images de la conscience du corps dont nous parlons à présent, cela n'est venu qu'après. Je voulais décrire ce parcours de ses premiers tableaux à ceux que nous connaissons tous, mais ce qui a primé avant tout, c'est ce que j'aimais moi, ce qui convenait à telle ou telle scène, ce qui avait les bonnes couleurs et invoquait la bonne émotion.

Elle se réfère régulièrement à ses tableaux comme des enfants, et elle finit par ne pas vouloir s'en séparer.
Maria Lassnig s'est battue pour être reconnue dans le monde de l'art, dominé par les hommes, tout au long de sa vie. Il faut lui accorder la reconnaissance qu'elle mérite pour le rôle de pionnière qu'elle a eu, pour avoir lutté avant de devenir la peintre la plus chère d'Autriche. Elle a connu une situation où les hommes se promouvaient les uns les autres ou étaient promus par d'autres, quand elle, en tant que femme, ne l'était pas. Elle s'est rapprochée de jeunes curateurs dont elle savait qu'ils pourraient l'aider. Hélas, la célébrité n'est venue que très tard dans sa vie et quand ça s'est produit, elle n'était plus en mesure de l'accepter.

Vous reprenez, dans le titre, le nom d'un de ses tableaux. Pourquoi celui-ci ?
Pour moi, dormir avec un tigre, c'est comme se battre contre le monde. Ça peut renvoyer à un conflit interne ou externe. Il y a même une interprétation selon laquelle c'est Lassnig, le tigre : j'aime bien cette idée aussi, mais pour moi, le tableau décrit son combat interne et externe.

(Traduit de l'anglais)

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