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CANNES 2024 Un Certain Regard

Konstantin Bojanov • Réalisateur de The Shameless

“Ça ne m’intéresse pas de parler de moi-même, ce qui m’intéresse, ce sont les histoires des autres”

par 

- CANNES 2024 : Le cinéaste bulgare décide de traiter de traditions réelles, et se retrouve à livrer une fable

Konstantin Bojanov • Réalisateur de The Shameless

D’abord conçu comme un documentaire, The Shameless [+lire aussi :
critique
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interview : Konstantin Bojanov
fiche film
]
de Konstantin Bojanov, présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard, est désormais une fiction qui commence quand Renuka (Anasuya Sengupta) s'enfuit d’un bordel à Delhi. Elle se dirige vers le nord de l’Inde, où elle rencontre Devika, beaucoup plus jeune. Elles trouvent refuge l’une dans l’autre, au moins un temps. Le réalisateur bulgare détaille pour nous son nouveau film.

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Cineuropa : On peut supposer que ce récit situé en Inde et articulé autour de personnages féminins n'emprunte pas à votre vie personnelle. Comment êtes-vous entré dans cet univers ?
Konstantin Bojanov : C’est un projet assez unique, qui a commencé il y a douze ans sous forme de documentaire, à partir d'un essai qui réunissait neuf histoires sur l’Inde contemporaine. J’ai décidé d’en utiliser quatre, notamment celle d’une travailleuse du sexe devadasi. En 2014, j’ai commencé à tourner. Selon la tradition locale, dont il est dit qu'elle remonte probablement à avant le 6e siècle, les filles prépubères peuvent être offertes à une déesse. Une fois "mariées" à elle, elles sont condamnées à une vie de prostitution. Beaucoup plus tard, les colonisateurs britanniques se sont plaints de cette pratique – pas par sollicitude, attention, ils se fichaient complètement de ces petites filles : ils ne voulaient juste rien avoir à faire avec ça. Maintenant, c’est interdit par la loi, mais personne ne va en prison pour ça. C’est de la prostitution placée sous l’étendard de la religion.

Très tôt en tournant le documentaire, j'ai compris que pour le faire convenablement, il aurait fallu que je reste vivre en Inde quelques années. Par ailleurs, chacune des histoires auraient été tournées dans une langue différente, que je ne parlais pas. Je ne pouvais tout simplement pas établir le niveau de confiance nécessaire avec mes sujets. Ce que j’ai remarqué cependant, ce sont les relations très tendres qu'avaient les femmes entre elles. J’aborde toujours mes histoires avec un "Et si... ?" en tête. Et si une femme en fuite, qui a commis un crime, tombait amoureuse d’une autre femme ?

C’est intéressant d'apprendre quelles ont été vos sources d'inspiration, parce que le film n’est pas entièrement réaliste. De temps en temps, vous partez dans le rêve, ou la pure imagination. D’où cela est-il venu ?
Le réalisme social n’est pas une chose dont je suis proche. À chaque fillette qui est censée être offerte à la déesse, on raconte la même histoire : une tragédie est survenue dans leur courte vie, quand elles étaient petites, et la déesse les a sauvées. Un miracle ! Dans le cas de la femme que j’ai rencontrée, elle avait été victime d’un accident qui aurait pu être fatal et a passé des mois à l’hôpital. Donc et si..., encore une fois, une autre fille avait un accident et qu'après, tout le monde se convainquait que quelque chose n’allait pas chez elle ? Dans ces communautés, on ne reconnaît pas l'existence des maladies mentales, mais cet état retarde le moment où elle devra rejoindre le "commerce familial", et ça explique aussi ses visions. Je pense qu’elles sont essentielles à l’histoire.

Ces scènes ont du sens : dans cet univers, il est facile de devenir fou. Il n’y a pas d’issue.
L’élément oppressant de cet environnement était très délibéré. Nous ne pouvions pas tourner en Inde pour toute une série de raisons, et le Népal est devenu la seule option possible. Je suis allé là-bas et j’ai récrit le script, parce que Katmandou est une ville incroyablement étouffante. Il n’y a de place nulle part ! Vous allez peut-être trouver ça surprenant, mais ma plus grande référence a été Vol au-dessus d’un nid de coucou de Miloš Forman. On a de nouveau quelqu’un d’extérieur qui essaie d’échapper à sa sale situation, qui rejoint une communauté insulaire et se rebelle contre ses règles strictes. C’est une histoire de vengeance, de sacrifice, c'est l'histoire d'une héroïne convaincue qu’elle n’a d’obligation envers personne excepté elle-même. Et puis elle se transforme, bien qu'au début, elle ne croie même plus à l’amour.

Elle a tout vu, et tombe amoureuse de quelqu’un qui n’a rien vécu encore. Trouviez-vous intéressante cette dynamique atypique ?
Beaucoup. Son arrivée dans la vie de Devika devient un catalyseur qui mène à l'émancipation de la jeune fille. Jusque-là, elle ne s'était rebellée qu'à petite échelle. Pour la plupart des gens, sa mère pourrait sembler brutale et despotique, mais c'est qu'elle n'a jamais rien connu d'autre. La réalité est bien pire que ce que je montre dans mon film : la "première nuit" de ces filles vient affreusement vite. Nous sommes en train de parler d’enfants.

Quand vous avez parlé à ces femmes, à l'époque où vous tourniez le documentaire, a-t-il été difficile de les convaincre que vous n’alliez pas les exploiter ?
Un des moments les plus émouvants de ma vie, et je n’exagère pas, c'est quand elles m'ont dit que personne n’avait jamais fait attention à ce qu’elles vivaient avant. La "pornographie de la misère" me pose de gros problèmes ; ce documentaire (que je pourrais sortir un jour sous forme de court-métrage) restait très observationnel. Je ne voulais jamais avoir un point de vue condescendant.

M'explorer moi-même, ça ne m'intéresse pas. Ce sont les histoires des autres qui m'intéressent, mais si cette histoire ne me tenait pas intimement à coeur, je n'aurais pas passé tout ce temps à la développer, n'est-ce pas ? C'était une idée complètement folle. J'ai essayé d'abandonner plusieurs fois, mais je suis content de ne pas l'avoir fait.

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(Traduit de l'anglais)

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