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CANNES 2024 Un Certain Regard

Julien Colonna • Réalisateur de Le Royaume

"Montrer la machine de la voyoucratie dans son inévitable extinction programmée"

par 

- CANNES 2024 : Le cinéaste français évoque son premier long, une fiction partiellement inspirée par un souvenir d’enfance, un film au carrefour des genres sur un père et sa fille en cavale

Julien Colonna • Réalisateur de Le Royaume
(© Fabrizio de Gennaro/Cineuropa)

Le cinéaste français Julien Colonna évoque premier long métrage, Le Royaume [+lire aussi :
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interview : Julien Colonna
fiche film
]
, qui fait sa première mondiale au programme Un Certain Regard du 77e Festival de Cannes.

Cineuropa : D’où est venue l’idée du film ? À quel point est-il inspiré d’évènements réels ?
Julien Colonna
: Tout est né au moment où ma femme m’a annoncé il y a six ans qu’elle était enceinte. Je me suis posé la question de l’enfant que j’allais avoir et du papa que j’allais tenter d’être, et j’ai pensé aussi à l’enfant que j’avais été et aux parents que j’avais eus. Un souvenir assez prégnant de mon enfance est alors remonté à la surface. Je devais avoir une dizaine d’années, j’étais avec mon père et des amis à lui dans un campement en bord de mer, sur la côte sauvage en Corse, avec rien ni personne autour. On passait nos journées à pêche, à discuter, à raconter des histoires, on dormait à la belle étoile. Mais j’ai appris des années plus tard que ce que je pensais être une petite escapade entre amis avait de enjeux très différents pour mon père. De là m’est venue l’idée d’écrire une fiction sur un père et sa fille qui sont en cavale et qui, le temps de cette cavale, apprennent à se connaître, à se comprendre et à s’aimer.

Pourquoi un personnage féminin ?
Avec ma co-scénariste Jeanne Herry, il nous a semblé qu’il était plus intéressant d’un point de vue dramaturgique de mettre une jeune fille dans un environnement essentiellement masculin. Ce qui est surtout important, c’est le schisme entre le monde des enfants et celui des adultes qui est très opaque. Je ne me suis pas transposé en Leisa, j’aurais aimé avoir son courage et sa détermination. Je me suis inspiré de la relation parent-enfant que j’ai pu avoir, d’une certaine véracité d’un monde qui était connu, mais l’idée était d’écrire une pure fiction.

À quel genre rattachez-vous le film ?
C’est un film au carrefour des genres, un peu difficile à étiqueter. Ce n’est pas vraiment un thriller car il n’y a pas d’horreur et ce n’est pas non plus un polar parce qu’il n’y a pas de policier. Je dirais que c’est un drame. Mais il y a quand même de l’action, un côté film de voyous et c’est aussi un peu un road trip. L’idée était de mélanger tout cela avec la volonté de dépeindre une relation filiale qui tente d’exister et de survivre dans un contexte où tout meurt autour d’elle. À travers ce lien parent-enfant qui est universel, il fallait arriver à soulever les questions de l’inné, de l’acquis, de l’héritage de la violence et surtout du chemin de la réconciliation car il y a une douleur sourde entre ces deux êtres, simplement une méconnaissance l’un de l’autre. Quand on a une histoire principale émotionnellement forte avec un background beaucoup plus tendu, on peut mélanger les différents genres.

Tous les interprètes sont des non-professionnels. Pourquoi ce choix ?
Le film se déroule en Corse, il est écrit par un Corse, avec des personnages corses, donc il était évident pour moi que je devais travailler avec des insulaires. Pour les deux rôles principaux, celui de Leisa qui devait avoir plus de 16 ans pour de questions de production mais qui devait faire un peu plus jeune, et pour celui de son père au milieu de la cinquantaine, il n’y avait pas beaucoup d’actrices et d’acteurs de ces âges là en Corse et cela ne correspondait pas à ce que je cherchais. Donc, nous avons fait huit mois de casting sauvage. Cela a été un grand défi, y compris auprès de mes producteurs à qui j’ai dû expliquer en quoi cela pouvait abîmer le film dans sa substance si on prenait quelqu’un de connu en France. Ghjuvanna Benedetti et Saveriu Santucci que j’ai finalement choisis ont dû apprendre ce qu’était incarner un personnage et travailler sans relâche dans des ateliers que nous avons organisés avec un coach entre la Corse et Paris. C’était assez époustouflant de constater leur évolution et de les voir se découvrir un potentiel qu’ils ne soupçonnaient pas.

Comment représente-t-on avec authenticité le monde du crime organisé ?
La Corse est à la fois une île paradisiaque et une terre de drames. Et nous sommes tous, en tant que Corses, plongés dans ce quotidien qui nous amener les plus belles choses et en même temps les pires nouvelles, avec toujours des connexions assez proches avec ces gens là. Dans une même famille, il y a des voyous, des avocats, des médecins, etc. C’est un travail d’observation, une volonté d’être au plus près de la réalité de ces gens là et cette réalité, c’est que c’est une vie de misère. Je ne voulais pas montrer un énième portrait où l’on fantasme une vie facile, d’argent, de pouvoir, de restaurants chics, de belles femmes au bras, etc. En fait, ils vivent comme des bêtes traqués : un jour ils sont chassés, un jour ils chassent à leur tour. C’était important de montrer la machine de la voyoucratie dans son inévitable extinction programmée, ces hommes qui vivent comme des morts-vivants.

Quel rythme avez-vous voulu donner au film ?
Il fallait que soit à l’image d’une cavale, c’est-à-dire imprévisible, inconfortable. On se pose dans un lieu quelques jours, mais ensuite on en enchaîne trois ou quatre dans les 48h suivantes. Il fallait déséquilibrer le spectateur, qu’il ne sache pas ce que ce qui peut se passer à la séquence suivante. Je voulais aussi jouer sur les contrastes sensoriels d’une cavale : la chaleur et la sueur, la fraicheur de l’eau, des moments de rires et de joie balayés par une nouvelle qui terrasse. Il y avait une volonté d’être toujours en arythmie et le plus surprenant possible.

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