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CANNES 2024 Compétition

Agathe Riedinger • Réalisatrice de Diamant Brut

"Elle est grignotée par son rêve et sa conviction qu’elle vaut mieux que ce que la vie lui propose"

par 

- CANNES 2024 : La cinéaste française évoque son premier long qui dresse un tableau frappant et détaillé d’une jeune femme aspirée par la mythologie de l’apparence et de l’argent via la téléréalité

Agathe Riedinger • Réalisatrice de Diamant Brut

Diamant Brut [+lire aussi :
critique
interview : Agathe Riedinger
fiche film
]
, le premier long très énergique d’Agathe Riedinger, a été propulsé directement en compétition au 77e Festival de Cannes.

Cineuropa : D’où est venu le désir de traiter le sujet d l’attraction a téléréalité ?
Agathe Riedinger
: Cela fait très longtemps que je regarde la téléréalité. J’ai même d’abord fait un court métrage sur le sujet. Je ressentais le besoin de m’interroger sur le divertissement qu’elle est censée être mais qui n’a en fait rien de léger car c’est un divertissement fabriqué avec beaucoup de mépris de classe, qui véhicule des valeurs réactionnaires telles que l’hypersexualisation de la femme pour créer du divertissement, qui alimente la culture du viol, le consumérisme, et dans lequel on peut voir une impunité quasi 100% réelle concernant le harcèlement ou les agressions sexuelles. C’est un miroir de la société qui met en avant des valeurs de plus en plus extrêmes. Cette violence très forte, il fallait en parler. Mais en réfléchissant aux motivations des candidats, j’ai constaté que pour eux, qui sont majoritairement issus des classes populaires, c’est paradoxalement aussi une alternative au chômage et un moyen d’avoir accès à un statut social, de cocher les cases où la société capitaliste nous ordonne d’être à travers les valeurs fabriquées par l’argent. Cette ambivalence était très intéressante.

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Je suis aussi fascinée par cette représentation de la féminité qui est très singulière, qui dégage beaucoup de puissance et qui m’interrogeait sur la beauté. Ces femmes sont-elles le fruit d’injonctions patriarcales vieilles comme le monde qui supposent qu’une femme n’est vraiment une femme que si elle est désirable ? Ou au contraire, comme des millions de femmes avant elles, ne défendent-elles pas une forme de féminisme en ayant renversé ces injonctions et en utilisant la beauté comme une arme pour s’imposer, pour s’émanciper, pour se revendiquer ?

Comment êtes-vous arrivée au personnage de Liane ?
Ce qui m’a permis de trouver l’axe du personnage et de l’histoire, c’est un documentaire sur les grandes courtisanes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, les cocottes, qui montrait tout le phénomène qu’elles avaient engendré dans la société et j’ai trouvé un calque parfait de la téléréalité d’aujourd’hui. C’étaient aussi des femmes d’origine très modeste qui ont utilisé leur beauté pour s’affranchir de leur propre milieu et pour s’imposer dans la société. L’ascension, Le rapport aux vêtements, au corps, à l’hygiène, étaient complètement identiques à un siècle d’écart ! Pour inventer le personnage de Liane, je me suis donc inspirée de multiples candidates de téléréalité, mais aussi du parcours des courtisanes Liane de Pougy, La Belle Otero et Païva.

Mon héroïne est déterminée, révoltée, idéaliste, consciente de subir un certain mépris de classe et consciente aussi que sa beauté est une façon d’avoir le pouvoir sur les autres. Elle est surtout concentrée sur son objectif, obsédée, et comme avec toute obsession, elle est grignotée par son rêve et sa conviction qu’elle vaut mieux que ce que la vie lui propose. Mais elle est également complètement déconnectée de ses émotions, enfermée derrière l’image qu’elle a voulue fabriquer. C’est aussi un personnage de notre époque qui subit la pression de la tyrannie de l’image et de la beauté, cette injonction à être toujours mieux que l’autre, mieux que soi-même hier. D’ailleurs, qu’est-ce que la beauté ? L’authentique ? Le naturel ? De la fabrication et le recours à de la médecine esthétique ? Il n’y a pas qu’une beauté et je trouve qu’il n’y a rien de plus authentique que l’artifice car c’est la preuve d’une très grande vulnérabilité : on se décore pour vouloir paraître plus beau, mais si on le fait, c’et qu’on se trouve moins beau, qu’on est fragile.

Vous utilisez avec beaucoup d’intensité, plein écran, les commentaires sur les réseaux sociaux.
Liane se construit à travers le regard des autres et à travers la réaction qu’elle va provoquer chez les autres. Donc ces commentaires sur les réseaux sociaux avec leur dichotomie de haine et d’amour démesurés lui prouvent qu’elle est valable et l’aident à se sentir forte, même s‘ils sont odieux. Graphiquement, j’ai donc voulu représenter ces commentaires comme des sceaux.

Quid du format 4/3 et des parti-pris très forts pour les couleurs ?
C’est un format très intéressant d’un point de vue pictural car cela fabrique une image très iconique qui permet aussi de travailler beaucoup le son et le hors champ. Pour Diamant brut, cela permettait aussi de montrer l’enfermement dans lequel Liane se sent. Quant à la flamboyance, l’incandescence du personnage, je voulais la faire ressortir par la couleur : Liane veut qu’on la voit. Il fallait que ce soit coloré, chargé et dense.

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