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CANNES 2024 Un Certain Regard

Rungano Nyoni et Susan Chardy • Réalisatrice et actrice de On Becoming a Guinea Fowl

“Ça parle de la difficulté de s'exprimer”

par 

- CANNES 2024 : L'auteure et la comédienne de ce film, qui parle des sombres secrets d'un oncle décédé qui refont surface, parlent de la complicité dans le silence

Rungano Nyoni et Susan Chardy • Réalisatrice et actrice de On Becoming a Guinea Fowl
Rungano Nyoni (à gauche) et Susan Chardy (© Fabrizio de Gennaro/Cineuropa)

Une nuit, Shula (Susan Chardy) tombe sur le corps de son oncle. Il n’y a personne autour, juste elle, la route et ce cadavre, mais si les choses sont déjà assez bizarres comme ça, elles vont le devenir encore davantage, et plus sombres aussi, parce que les secrets du cher Oncle Fred vont bientôt être exposés au grand jour. Nous avons interrogé Chardy et la réalisatrice Rungano Nyoni sur On Becoming a Guinea Fowl [+lire aussi :
critique
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fiche film
]
, présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard.

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Cineuropa : Votre film fait universel, même si on y voit toutes ces traditions et rituels très spécifiques – et vous prenez votre temps pour les montrer.
Rungano Nyoni : C’est difficile de montrer les aspects d’une culture que les autres ne connaissent pas. On ne peut pas trop expliquer, et j’évite toujours de rendre les choses trop "anthropologiques", mais on risque aussi de devenir trop opaque ! J'ai dû réfléchir à cela pendant le montage. Je voulais montrer ma culture, mais sans que ça fasse National Geographic.

Vous n’expliquez pas trop, et Shula non plus.
Susan Chardy : Expliquer, c’est facile. C’est beaucoup plus dur quand on raconte une histoire sans rien dire, mais elle digère les choses au fur et à mesure et vers la fin, on découvre pourquoi elle réagit de cette manière. Au début, on remarque seulement que ce n’est pas complètement normal de se conduire comme ça quand on voit un corps sans vie gisant sur la route. Elle est traversée par une série d'émotions contradictoires.

R.N. : Elle intériorise tout ce qui est en train de se passer. C’est à vous de comprendre ce qui se passe vraiment.

Pourquoi vouliez-vous combiner ces deux extrêmes que sont le silence et les cris ?
R.N. : On n'a pas le choix : les enterrements sont aussi bruyants et expressifs que ce que vous voyez dans le film, et c'est délibéré. C’est comme cela qu’on montre qu’on ressentait quelque chose pour le défunt. Je me rends compte maintenant que la plupart de mes héroïnes sont silencieuses. Et elles s’appellent toutes Shula ! Susan, tu es ma troisième Shula. La première se faisait davantage entendre. Maintenant, très souvent, je lui dis : "Désolée, mais tu ne peux rien dire". Shula garde les choses en elle. Il peut être difficile d’"accéder" au personnage, et ça peut être un parcours frustrant, mais j’espère que quand le film se termine, tout prend son sens. Et ça rend ce dénouement semi-cathartique. Je n'ai pas encore songé au silence et au bruit, mais il faut dire que nous n'avons terminé le mixage que la semaine dernière…

L’histoire cannoise habituelle…
R.N. : Je pensais que j’arriverais à éviter ça, cette fois, mais non. Et voilà qu'on me dit qu'on fait ça tout le temps dans le film, de passer du tintamarre au silence. Et moi : mais c’est vrai ! Je n'avais pas vu cette dynamique jusqu’à très récemment, mais oui, en effet, elle est silencieuse et tout autour d’elle est démentiel.

D'autres ne sont pas si silencieuses, mais ça n'empêche pas qu’elles cachent des expériences horribles, comme sa cousine.
S.C. : C’est bien comme ça que ça se passe, non ? Nsansa n’est pas prise au sérieux à cause de qui elle est.

R.N. : Je suppose que le film parle justement de ça, de la difficulté de parler. Ça m’intéressait d'explorer la manière dont les différentes victimes se montrent aux autres, parce que j’ai vécu ça moi-même. Certaines personnes peuvent donner l'impression d'avoir très confiance en elles, et cependant elles cachent des choses.

Quand on ne parle pas, ça continue, et ça arrive à d’autres, qui pensent qu’elles sont complètement seules. Ça ne fonctionne pas, ce système d’oppression ne fonctionne pas, alors pourquoi d’autres femmes le protègent-elles ?
R.N. : C’est compliqué. Pour ce film, j’ai énormément puisé dans mon expérience personnelle. J’ai réfléchi au fait que nous gardons nos secrets pour nous. Dans une famille, on sait des choses sur les autres, et les autres savent des choses sur vous.

S.C. : Mais on n’en parle pas. C’est comme ça au sein des familles nombreuses.

R.N. : Susan, tu connais la Zambie, ce n'est pas une société où les femmes n'ont pas voix au chapitre. On y trouve tout le temps des femmes dans des positions de pouvoir. Nous n’avons jamais dû nous battre pour la parité dans ce sens, mais sur d'autres aspects, oui. C’est une étrange contradiction. Nous avons des secrets, nous le savons, mais nous n’arrivons pas à nous parler les uns aux autres. Pourquoi ? Pourquoi sommes-nous complices dans ce silence ? Pour tellement de personnes qui ont vécu ce genre de traumatisme dans leur enfance, ça ressort plus tard dans leur vie, de manière très inattendue. C’est triste à voir, parce que les personnes concernées vivent une vie assez normale, et puis quelque chose se brise quand elles atteignent leur trentaine ou leur quarantaine.

Quand on garde tout en soi, on devient fou. C’est pour cela que toutes ces scènes fantastiques étranges m'ont paru pleines de sens. C’est comme cela que ça se passe : on se noie littéralement.
S.C. : J’adore le fait qu'on ait pu combiner tout cela dans le film. Ce n’est pas évident non plus. C’est une histoire tellement complexe et un sujet si délicat – enfin, en même temps, comment peut-on dire que c’est délicat quand ça se produit aussi souvent ? Y avait des gens qui riaient pendant la projection. Il n’y a rien de mal à ça, mais pour moi, ce contraste était vraiment intéressant.

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(Traduit de l'anglais)

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