Sarah Chazelle et Étienne Ollagnier • Distributeurs, Jour2Fête
“Les films que nous choisissons sont les films que nous aimons”
- Les deux distributeurs français détaillent pour nous leur politique éditoriale et leurs stratégies marché
Cineuropa a rencontré Sarah Chazelle et Étienne Ollagnier, de la société de distribution française Jour2Fête. Lors de notre entretien, nous avons parlé notamment du line-up de l'enseigne et de sa relation avec le public et les recettes des films dans les salles.
Cineuropa : Pourriez-vous nous en dire plus sur la politique éditoriale de votre société et de sa composition en termes de personnel ?
Sarah Chazelle : Nous avons lancé Jour2Fête en novembre 2006. La société réunit à présent 12 personnes, et nous lançons dans les cinémas environ 12 films par an. L'année dernière, nous en avons distribué 16 movies, et cette année 18, mais c'est parce que nous avons dû rattraper les sorties qui n'ont pu avoir lieu pendant le Covid. Nous prévoyons de retourner au rythme d'avant, car c'est énorme pour un distributeur indépendant, et nous voulons maintenir le même niveau d'engagement avec les producteurs.
Les films que nous choisissons sont les films que nous aimons, donc nous travaillons vraiment au cas par cas. Ce sont des films d'auteurs, documentaires et fictions, qui ont tous une portée politique, sociale ou historique. Nous adorons les films avec des sujets forts. Nous choisissons des films du monde entier, mais ces dernières années, nous en avons beaucoup du monde arabe (notamment de Tunisie et d'Algérie) ainsi qu'un bon nombre de titres scandinaves, en particulier islandais.
Étienne Ollagnier : Cela dit, la majorité [de nos titres] restent français, ou des coproductions.
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S.C. : Oui, nous connaissons Rúnar depuis longtemps. Nous avons rencontré le jeune réalisateur aux Arcs (où le film a gagné le Prix Artekino) il y a trois ans, et nous avons décidé d'acquérir le projet pour nous occuper de ses ventes internationales [via The Party Film Sales] ainsi que de sa distribution en France sur lecture du scénario. Nous l'avons lancé en France en avril, sous le titre Le Vieil Homme et l’enfant, après qu'il ait joué à plusieurs festivals internationaux et français, notamment Arras.
Quels autres titres récents pouvez-vous citer ?
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fiche film] de Kaouther Ben Hania, qui a gagné le César du meilleur documentaire. Nous l'avons sorti en France, et il a bien fonctionné. Il a aussi fait sa première mondiale en compétition au Festival de Cannes l'année dernière. Comme documentaire, nous avons aussi lancé, cette année, La Ferme des Bertrand de Gilles Peret. Le film présente sur 50 ans l'histoire d'une ferme familiale en Haute-Savoie. Pour le moment, nous en sommes à 250 000 entrées, et nous pensons que nous pouvons encore en faire beaucoup plus avec les séances scolaires.
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Comment la répartition des revenus entre les entrées en salle et les autres sources a-t-elle évolué ces dernières années ?
S.C. : Elle a évolué, dans une certaine mesure. Nos revenus proviennent des entrées en salle, mais aussi de la VOD et du DVD. Dans l’ensemble, la VOD est restée assez stable, ces cinq dernières années. Les recettes en salle ont été très affectées par la situation pandémique, mais elles remontent : nous avons enregistré en 2023 le plus grand nombre d’entrées de notre histoire. En revanche, la VOD ne repart pas aussi bien que nous l’espérions. Les autres sources de revenus ne sont pas significatives, pour nous. Il est aussi important de noter que les ventes TV ont sensiblement baissé, ces dernières années, car les chaînes de télévision sont moins nombreuses à acheter des films d’auteurs.
Quelle est votre relation avec le public ?
S.C. : Nous distribuons beaucoup de documentaires, donc notre objectif est toujours d’attirer un public qui dépasse celui dont on sait déjà que le sujet du film l'intéresse. Récemment, nous avons eu beaucoup de succès pour ce qui est d'intercepter les scolaires : c’est une chose que nous voulons développer davantage, et nous avons acquis une part importante de la société qui gère le site Zéro de Conduite, qui fournit des kits pédagogiques rattachés aux programmes scolaires.
Comment travaillez-vous avec votre branche ventes, The Party Film Sales?
S.C. : Nous avons deux équipes séparées, mais nous collaborons très étroitement. L’équipe de The Party Film Sales est dirigée par Estelle de Araujo et Samuel Blanc. Ensemble, nous essayons d’acquérir les films pour le public national et le public international. Dès que nous le pouvons, nous travaillons sur une stratégie commune. Par exemple, pour Les Filles d'Olfa l’année dernière, ou pour When the Light Breaks et Ma vie ma gueule cette année, nous avons géré ensemble le marketing et les décisions par rapport aux festivals, et nous avons aussi discuté ensemble des distributeurs les plus adaptés dans chaque pays.
Comment le rôle de distributeur est-il en train d’évoluer ?
S.C. : C’est un rôle important qui est constamment menacé. Dernièrement, on était préoccupés par la menace de l'interdiction du blocage géographique au niveau européen ; ce serait extrêmement dangereux pour nous, parce que ça détruit les spécificités de chaque marché. Les distributeurs partout en Europe, avec le soutien d'Europa Distribution, et les vendeurs, à travers Europa International, ont dû réexpliquer l’importance de nos rôles respectifs pour préserver la diversité en Europe. [...] Au-delà de ça, notre rôle évolue fortement du fait des acteurs importants du secteur qui achètent des sociétés locales, par exemple MUBI, qui a acquis des parts importantes de plusieurs sociétés de distribution belges. Et nous sommes aussi face à une énorme concentration du marché sur quelques films seulement, chaque semaine. Tous ces développements ont indéniablement un impact sur les ventes internationales et sur la distribution au niveau national.
(Traduit de l'anglais)
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