Pavel G. Vesnakov • Réalisateur de Windless
“L'hésitation est un fardeau, mais elle ouvre des sentiers créatifs”
par Mariana Hristova
- Le réalisateur bulgare décode pour nous son deuxième long-métrage, qui suit un jeune homme détaché de son passé et de son pays natal tandis qu'il s'occupe de la vente d'un appartement familial

Nous avons interrogé Pavel G. Vesnakov à propos de son nouveau film, Windless [+lire aussi :
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interview : Pavel G. Vesnakov
fiche film], qui a fait sa première mondiale à Karlovy Vary dans le cadre de la compétition Proxima. Vesnakov, considéré comme le réalisateur le plus prometteur du cinéma d’auteur bulgare, éclaire pour nous certains aspects de son style très distinctif en expliquant sa vision de la narration et son approche des personnages.
Cineuropa : Dans notre interview précédente (cliquer ici pour la lire), vous promettiez que Windless serait plus radical dans sa forme que German Lessons [+lire aussi :
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interview : Pavel G. Vesnakov
fiche film], et voilà le résultat, avec son format carré, des gros plans pénétrant et éclats de réalité fragmentaires bien alignés avec la vie éparpillée du personnage. Quelles étaient vos intentions, derrière ces décisions esthétiques ?
Pavel G. Vesnakov : Jusqu'ici, j'ai toujours fait mon possible pour donner de la crédibilité à mes films en y incorporant une esthétique documentaire, ce qui a aussi imposé des limites à mon travail (pas de musique, pas d’éclairages supplémentaires), dans un effort pour tout rendre de la manière la plus réaliste possible, mais je voulais échapper au confort d'un mode d'expression cinématographique que je connais bien : répéter les mêmes schémas n’avait plus de sens. Je voulais que ce film reflète ce que je ressens. Enfant, j’ai longtemps vécu dans un tout petit appartement. L’endroit où vit le père du personnage principal est très similaire : c’est un espace extrêmement étouffant. Je me suis dit que le format carré était parfait pour transmettre la sensation d’être piégé. Les dialogues et monologues du film ne sont jamais interrompus par le montage non plus, de sorte que rien n’interfère avec eux. Mon objectif était d’offrir une vision détachée et plus poétique d’une réalité domestique somme toute assez sinistre.
L'intrigue aussi est radicale, car elle parle d'un nettoyage de la mémoire au niveau personnel et sociétal. La désintégration de la société bulgare peut-elle s'expliquer par une attitude désinvolte par rapport au passé ?
C’est le leitmotiv que j'avais en tête pendant le tournage. Il a commencé une semaine seulement après le début de la guerre en Ukraine, et la période de préparation, chargée d'une anxiété d'ampleur mondiale, a beaucoup influé sur notre travail. La situation est intimement liée à la désintégration de la famille du personnage principal. Cependant, l’aspect le plus important de cet écroulement est à chercher dans l’espace privé. Le scénario initial était encombré de trop de détails quotidiens, donc j'ai voulu l'écrémer pour me concentrer sur le côté personnel, et ensuite me référer à la situation dans son ensemble. Tout au long du tournage, le matin, nous suivions le scénario et l’après-midi, nous documentions la réalité autour de nous.
Le grand thème de Windless semble en effet être les problèmes associés à la mémoire, privée et collective. Êtes-vous d'accord avec ça ?
La mémoire et le passage du temps sont en effet les sujets centraux du film. Le titre même de Windless se réfère à la stagnation effrayante de la mémoire des jeunes et au manque d'air qui fait qu'on ne peut secouer un peu les couches mémorielles empilées. À vrai dire, le film s’inspire du roman Un passage vers le Nord d’Anuk Arudpragasam, où le personnage principal retourne dans son Sri Lanka natal pour l’enterrement de sa grand-mère. Le livre est une sorte de méditation avec pour toile de fond le contexte socio-politique effroyable de la guerre civile, des crimes sanglants et une réalité globalement dure. Cependant, le ton reste profondément poétique. Je me suis senti l’envie de rompre avec le style établi dans le cinéma bulgare récent. Mon objectif est de faire réfléchir le spectateur au-delà du récit, car je trouve le simple acte de raconter trop pragmatique. J'essaie aussi de ne pas impliquer mes personnages dans des intrigues sensationnalistes ou des cadres se rattachant au cinéma de genre, et j'évite d’explorer des intentions qu'on ne peut que supputer dans les situations décrites.
Dans German Lessons, le personnage était un type qui hésite à partir mais ne le fait pas. Dans Windless, c'est quelqu'un qui envisage de revenir mais ne le fait pas. Quelle est le point d'intersection entre eux deux et où vous situez-vous dans ce contexte ?
Mon sentiment est que ni l'un, ni l'autre n'est jamais vraiment parti, et je suis moi aussi quelqu’un qui ne part pas. Je suis toujours resté ici, je sers de point de croisement entre les personnages. Je me rapporte bien à leur incertitude. L'hésitation est un fardeau, mais elle ouvre des sentiers créatifs. L'excès d'assurance au cinéma m'agace. J’essaie de faire tout le contraire. Il y a quelque chose de beau et de poétique dans les actes inattendus et illogiques.
Contre toute logique, par exemple, j’ai choisi Ognyan Pavlov dit “FYRE” pour le rôle principal. C’est un rappeur très populaire qui a de l’influence, mais qui est un outsider par rapport à cette histoire, de sorte que j’ai ajouté des aspects de sa personnalité au personnage.
(Traduit de l'anglais)
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