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GOLDEN APRICOT 2024

Emily Mkrtichian • Réalisatrice de There Was, There Was Not

“J'espère que ces images de l'Artsakh seront plus que de simples archives du passé, qu'elles représentent aussi un rêve pour l'avenir”

par 

- La réalisatrice arménienne nous en dit plus sur ses liens avec ses personnages et sur la complexité de toute opération consistant à documenter l'histoire en train de se faire

Emily Mkrtichian  • Réalisatrice de There Was, There Was Not

Nous avons interviewé Emily Mkrtichian, dont le documentaire There Was, There Was Not [+lire aussi :
interview : Emily Mkrtichian
fiche film
]
, un film éprouvant et chaleureux à la fois sur quatre habitantes de l'Artsakh, le territoire arménien récemment annexé par l’Azerbaïdjan, vient de recevoir le Prix FIPRESCI et une mention spéciale dans le cadre de la compétition régionale du 21e Festival international du film de l'Abricot d'or (lire l'article). Elle revient sur la réception du film par le public en Arménie ainsi que sur les émotions compliquées qu’elle a éprouvées tout au long du tournage et après avoir terminé le film.

Cineuropa : Vous proposez ici un film chargé d’émotions qui touche profondément – beaucoup de gens pleuraient, à la projection où j'étais. Quel genre de retour avez-vous eu après avoir montré le film dans votre pays ?
Emily Mkrtichian : La chose qu’on m'a dite le plus souvent, après la première projection (et qui m’a surprise, mais qui était aussi le meilleur compliment qu'on pouvait me faire), c'est que le film a poussé les gens à regarder en face et à éprouver des émotions profondes sur quelque chose qu’ils essayaient de fuir. Faire cela dans une salle avec des gens, et en présence des histoires de ces quatre femmes incroyables, a été cathartique. C’était mon plus grand espoir en faisant ce film, car j'ai vécu quelque chose de similaire pendant le montage : j'ai dû regarder intensément une chose que je voulais oublier ou nier, mais j'ai partagé cette expérience avec d’autres qui l'ont traversée. Nous avons pu pleurer ensemble et trouver à travers ces histoires apaisement et force.

Je suppose que l’effet de votre film est aussi amplifié par la prise de conscience du fait que récupérer l'Artsakh à ce stade serait difficile. Comment ressentez-vous cette situation ?
Je ressens trop d’émotions différentes pour pouvoir donner une seule réponse. Une part de moi pleure la perte d’un endroit, alors qu’une autre se sent honteuse de ce chagrin et veut croire que nous vivrons de nouveau sur ce sol. Documenter la beauté de l'Artsakh et sa vie pendant tant d'années avec ma caméra, et maintenant en partager le souvenir, me rappelle que le cinéma et les récits sont magiques. Ils documentent une certaine époque à un endroit, ils l'immortalisent. J’espère que ces images de l'Artsakh seront plus que juste des archives sur le passé, qu'elles seront aussi un rêve pour le futur.

Quelle était votre motivation initiale en allant chercher ces quatre personnages féminins en particulier, et comment les avez-vous trouvés ?
J’ai rencontré toutes ces femmes en passant du temps dans l'Artsakh. En 2017, j'ai tourné un court-métrage là-bas et j’ai rencontré Sveta. J’ai aussi donné un atelier de réalisation de films d’un mois dans un centre de technologie créative où j’ai rencontré Sose, – plusieurs jeunes femmes de ma classe ont décidé de faire un profil documentaire sur elle. Quant à Siranush et Gayane, je les ai connues par des amis communs. J’étais intéressée par la manière dont ces femmes de différents âges et de différentes professions se battaient pour plus de droits, pour vivre pleinement leurs vies, pour rendre leur pays meilleur pour leur entourage et pour les générations futures. J’ai tourné avec elles quatre pendant près de six ans, et nous sommes restées proches.

Le film montre des images de l’Artsakh assiégé, offrant un tableau unique de cette situation.
Mon intention en faisant ce film n’était pas de tomber sur une guerre. C’était censé être une histoire sur l'après du conflit et le rôle des femmes dans le travail pour la paix. Quand la guerre a éclaté, il se trouve que j'étais dans l'Artsakh, en train de tourner ce dont je pensais que ce serait les dernières scènes. Et puis tout a changé. Je suis restée et j’ai filmé tout au long de la guerre – il ne me serait jamais venu à l'esprit de ne pas le faire. Ces quatre femmes ont choisi de rester et de travailler pour la sécurité des gens autour d'elles, de sorte qu'il était inconcevable pour moi de ne pas faire la même chose. J’ai aussi vu que les journalistes étrangers ne s’intéressaient qu’aux images sensationnalistes de la guerre et à reproduire les même discours. Ça paraissait important de documenter un côté de la guerre qu'on voit rarement : les femmes qui endurent la tragédie et reconstruisent une fois qu'elle est terminée.

Comment s’est passé le montage ?
Après avoir tourné pendant près de six ans, j’avais énormément d’images. Le grand défi, au montage, était que j’avais en fait filmé deux histoires : une avant la guerre, et une après. Il m'a fallu des années pour comprendre comment procéder manière honnête et éthique, sans s’appuyer sur le sensationnalisme des faits. Finalement, j’ai dû travailler avec les images moi-même, pour comprendre ce que je voulais transmettre, quel effet je voulais que fasse le film. Une fois que ça a été clair dans ma tête, j’ai trouvé une partenaire de montage, Alexandria Bombach, qui m'a vraiment écoutée, qui a compris ma vision et qui a élevé le film par sa maîtrise et sa sensibilité.

(Traduit de l'anglais)

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