César Díaz • Réalisateur de Mexico 86
"Dans l’imaginaire collectif, un père qui part à la lutte est un héros, une mère qui fait la même chose est irresponsable"
par Aurore Engelen
- Rencontre avec le cinéaste belgo-guatémaltèque qui revient avec un film d’espionnage aux origines de la guerre civile qui a dévasté son pays natal pendant plus de 10 ans
Remarqué en 2019 à la Semaine de la Critique de Cannes avec son premier long métrage Nuestras Madres [+lire aussi :
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fiche film], qui lui vaut la prestigieuse Caméra d’Or, César Díaz revient avec Mexico 86 [+lire aussi :
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fiche film], aux origines de la guerre civile qui a dévasté le Guatemala pendant plus de 10 ans, aux côtés de Maria, combattante en exil rattrapée par sa maternité. Un film d’espionnage intime qui questionne l’engagement et la parentalité, présenté à la Piazza Grande du Festival de Locarno.
Cineuropa : Quelles sont les origines du projet ?
César Díaz : C’est une histoire que j’avais en moi depuis longtemps, et qui a pris des formes très différentes. Au début, le film parlait d’une nounou à Bruxelles qui avait laissé son fils au Guatemala, qui se voyait contrainte de le prendre en charge quand sa grand-mère mourait. Mais dans cette version, le thème de l’immigration balayait tout le reste, alors que pour moi, le coeur du film, c’était les rapports entre cette mère et son enfant.
Je me suis alors redemandé quelles étaient les vraies origines de ce projet. C’était mon histoire. Ma mère a dû quitter le Guatemala car elle était recherchée. J’ai grandi avec ma grand-mère. J’ai fait de nombreux aller-retours entre le Guatemala et le Mexique, jusqu’à ce que je fasse le choix d’aller vivre avec elle. Quand on s’est rencontrés, j’avais 9 ans, nous étions deux étrangers. Notre rapport s’est construit d’une façon étrange. On est plutôt amis en fait. Et puis il fallait poser la question de l’engagement, pour mieux comprendre la mécanique de l’histoire. J’ai fait un grand tour par Bruxelles et quatre versions de scénarios pour revenir à la matrice de mon histoire.
Le point de vue est celui de Maria, elle est au coeur du film.
Je voulais qu’on puisse avoir de l’empathie pour Maria, qu’on puisse être dans sa peau. J’avais peur qu’on ne comprenne pas ses choix, qu’on la juge. Je voulais montrer par quoi elle était traversée. Si on montrait autre chose, on risquait de la perdre. Enfant, j’ai rencontré de nombreux militants, je me suis inspiré de leur façon de parler, d’articuler leurs idées. Les gens engagés ont une façon de vivre et d’être très particulière. Je voulais une femme très forte, sans être dure, qu’elle puisse avoir des moments de faiblesse, mais que les autres ne les voient pas. En travaillant avec Bérénice, je lui avais dit : imagine que tu es un punching-ball qui ne bouge pas, alors qu’on le cogne sans cesse.
Le personnage de Maria engage une réflexion sur la lutte militante, et sur le poids de la maternité.
Quel est le prix à payer pour avoir des convictions fortes ? Elle laisse tout derrière elle, son fils, son pays, sa famille. Mais je suis convaincu que pour qu’il existe une véritable transformation sociale profonde, il faut des gens comme ça. Si on est tiède face à la dictature, face aux injustices, on ne peut rien changer. Est-on une meilleure mère en restant auprès de son fils, ou en construisant un monde différent pour son fils ? Il n’y a pas de réponse à cette question je crois.
Nuestras Madres montrait déjà des femmes en révolte, il y a une spécificité féminine à la lutte ?
La plupart des hommes qui ont lutté avaient des enfants, et ne se sont jamais posé la question. Ils ont confié les enfants à la mère, ou a des ruches, sans se retourner, fiers d’avoir combattu. Autour de moi, plein de femmes ont arrêté la lutte pour que les hommes puissent la continuer. Dans Nuestras Madres, celle qui gardaient la mémoire, réclamaient la justice. Ici, les mères combattantes restent mères, quand les pères semblent devenir combattants, et arrêter d’être pères. Dans l’imaginaire collectif, un père qui part à la lutte est un héros, une mère qui fait la même chose est irresponsable.
Maria est face à un double combat, ses adversaires politiques, et ses "camarades" pour lesquels elle devient une cible.
Les luttes révolutionnaires ont uniformisé les choses, on n’est plus des individus, mais un groupe. Mais chacun, chacune a ses propres besoins. Personne n’entend Maria quand elle dit avoir besoin d’être avec son fils. Je voulais aussi éviter d’avoir un regard romantique sur ce mouvement révolutionnaire, construit par des hommes qui avaient leurs propres contradictions. Si on peut être critique face au pouvoir, il faut être critique face aux contradictions de la révolution.
C’est un film d’espionnage d’intérieur, qu’est-ce qui vous plaisait, ou pas dans ces codes ?
En fait, je n’avais pas envie de faire Nuestras Madres 2. L’industrie nous met dans des boites. Moi j’avais une étiquette "films du monde", "un peu documentaire", "comédiens non professionnels". Je voulais faire éclater toutes ces attentes, essayer de nouvelles choses. Je voulais me tester moi, en tant que réalisateur. Je voulais aussi aller contre l’idée que les films d’auteur sont chiants, lents. Regardez French Connection. En même temps, j’étais tout à fait conscient que je ne pouvais pas faire James Bond, sans compter que je n’en avais pas envie. Il a fallu faire des choix de mise en scène pour ne pas trahir l’esprit du film. On a une course poursuite par exemple, mais elle est vécue de l’intérieur, on n’a pas 50 caméras. Quoiqu’il arrive, il fallait créer de la tension, avec des moyens qui étaient dans mon langage cinématographique. Mais c’était un saut dans le vide ! J’ai appris énormément en faisant ce film.
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