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LOCARNO 2024 Compétition

Virgil Vernier • Réalisateur de 100 000 000 000 000 - cent mille milliards

"Je trouve cela précieux qu’un film puisse ouvrir des fenêtres vers quelque chose d’inconnu"

par 

- Le cinéaste français décrypte une œuvre fascinante ancrée dans la modernité intemporelle de Monaco, et éclaire son approche assez unique de la fiction

Virgil Vernier • Réalisateur de 100 000 000 000 000 - cent mille milliards
(© Shellac)

Virgil Vernier a opéré des débuts très remarqué dans le long métrage avec Mercuriales [+lire aussi :
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(ACID Cannes 2014 et nominé au prix Louis-Delluc du meilleur premier film). Après l’envoûtant Sophia Antipolis [+lire aussi :
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interview : Virgil Vernier
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, dévoilé dans la section Cineasti del presente du Festival de Locarno, le voilà de retour au festival suisse, mais cette fois dans la compétition principale, avec 100 000 000 000 000 - cent mille milliards [+lire aussi :
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interview : Virgil Vernier
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Cineuropa : Vos films gravitent toujours autour d’un lieu. Pourquoi Monaco cette fois au cœur de 100 000 000 000 000 - cent mille milliards ?
Virgil Vernier :
Après Sophia Antipolis où j’avais commencé à explorer cette Côte d’Azur complètement envahie par l’imaginaire de la réussite, du rêve capitaliste, je voulais aller encore plus loin avec une ville, ce pays-État, Monaco, qui est l’accomplissement ultime de ce rêve de la Côte d’Azur. J’avais aussi envie de rendre sensible pourquoi nous tous, en particulier quand on n’a pas de sécurité financière, nous nous mettons à désirer autant participer à un monde de réussite, de luxe. J’ai remarqué par exemple que dans les clips de rap, dans la culture très populaire des cités, Monaco était un rêve très souvent cité. Plus on a une vie difficile, plus on a envie de ce confort matériel. Monaco, c’est cela, en particulier pour des gens marginalisés qui doivent faire des petits boulots, des "bullshit jobs" comme cela a été théorisé aux États-Unis.

Parmi ces travailleurs anonymes, vous avez choisi un escort comme personnage principal.
J’ai rencontré un certain nombre de travailleurs du sexe et ils sont très loin des caricatures qu’on a l’habitude de leur accoler. Ils font ce boulot d’une manière absolument pas dramatique. Certains sociologues pourraient parler d’"uberisation de l’escorting". Voilà des gens très jeunes qui ont commencé à vendre leurs corps en se dissociant totalement de ce qu’ils font. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de séquelles psychologiques et que ce n’est pas très complexe. Je me suis inspiré d’eux et certains de cette bande autour du personnage d’Afine jouent leurs propres rôles. Ils pratiquent ce métier qui est très présent à Monaco où il y a beaucoup de demande pour des jeunes, beaux, dont le corps est disponible et pour lesquels la limite est floue entre le travail du sexe et juste un travail d’hôtesse ou d’accompagnant lors des fêtes comme le Yatch Show, le Grand Prix de Monaco, etc.

L’intrigue se déroule pendant la période des fêtes de fin d’année.
Cela m’a paru le plus beau décor possible pour rendre merveilleux, comme dans un conte, ce territoire de Monaco qui pouvait sembler manquer de féérie en lui-même. Noël pouvait créer cette magie visuelle.

La solitude d’Afine est une thématique récurrente dans votre cinéma.
Tous les thèmes que je développe dans le film viennent de ma vie. J’ai perdu mes parents très jeune, mon père à six ans et ma mère à huit. Les fêtes de Noël, c’était le moment où leur absence était la plus criante et je pense qu’avec le personnage d’Afin, j’ai voulu trouver un peu un alter ego qui raconte ce sentiment de se sentir seul dans les rues d’une ville alors que toutes les familles sont au chaud.

Le film dépeint un monde pré-apocalyptique mais sans aucune dramatisation.
Je suis fasciné par le chantier d’expansion de Monaco qui va bientôt être inauguré. C’est un projet titanesque, "dubaïesque" : Monaco s’étend sur la mer. Le point de départ de l’idée du scénario, c’était une petite fille dont les parents seraient milliardaires. En faisant des recherches sur les gens qui pilotent ce chantier sur la mer, je me suis dit que ce serait très beau que ces gens qui possèdent tout aient un enfant dont ils ne s’occupent pas, tant ils sont pris par leur travail. Cela convergeait parfaitement avec le personnage d’Afine qui est de l’autre côté de l’échelle sociale, mais aussi dans cette solitude. Quant au côté film apocalyptique, je voulais le suggérer avec des moyens très humbles et minimalistes d’un cinéma quasi documentaire, en filmant simplement ce chantier la nuit, le jour, en parlant de ces histoires tout à fait réelles qui sont la destruction de la mer et la conquête du béton. Il n’y a pas besoin d’en rajouter : tout le monde est ému par cela.

Le film évolue sur une frontière très ténue : un cinéma de sensation mais sans sensations fortes, une modernité teintée d’intemporalité, une fiction ancrée dans un style presque documentaire. Comment réussissez-vous à ajuster cette ambiance assez particulière ?
Je mets des années à écrire. J’ai mis six ans à faire ce film dont au moins trois ans d’écriture. J’ai écrit des versions qui allaient plus franchement dans le cinéma de genre, cela m’excitait un moment, puis je me rendais compte que cela ne me correspondait pas, que non seulement je n’aurais pas le budget pour tourner ça, mais que ce n’était pas ce que je voulais raconter. Mais il en reste parfois des traces sous la forme d’une voix-off, ou d’une musique qui va évoquer plutôt que de montrer frontalement.

Quelles étaient vos intentions principales de mise en scène ?
J’avais l’impression que ce territoire me connectait avec les contes des Mille et Une Nuits et avec tous ces genres de lieux un peu magiques : caverne d’Ali Baba, trésors cachés derrière une vitre. Monaco, cette ville de vitrines et, surtout la nuit, de lumières fascinantes, n’est en même temps qu’une vitrine car on ne peut pas atteindre ce butin. C’était le décor parfait pour raconter la "loose" profonde d’un personnage qui croit avoir pu accéder à ce monde d’hyper-richesse et d’abondance, mais qui se retrouve, dès le mois de janvier, dans la rue, du mauvais côté du trottoir, là où il ne peut que regarder avec amertume tout ce spectacle auquel il n’a plus accès.

Une fois encore, vous avez fait appel à des comédiens non-professionnels ? Est-ce une ligne directrice indéfectible ?
Je n’ai aucun dogme, mais cela m’intéresse de révéler des gens, la vie réelle de certaines personnes et des visages qu’on ne voit pas ailleurs. Je trouve cela précieux qu’un film puisse ouvrir des fenêtres vers quelque chose d’inconnu. Zakaria Bouti par exemple, je l’ai rencontré à 6h du matin dans une boîte de nuit à Marseille et c’était une révélation : il était unique, exactement celui que j’avais imaginé. J’ai fait beaucoup de casting avec des acteurs professionnels, mais ils n’avaient pas cette grâce, cette innocence. Mon producteur, Jean de Forêts, me soutient énormément et ne me fait pas du tout peser le fait que je ne l’aide pas en faisant des choix aussi peu marketing en termes de casting, de scénario, etc. Sans lui, je n’aurais pas réussi à faire ce film. Mais il faut aussi savoir quelle règle du jeu on accepte de jouer pour se renouveler. J’étais dans un rejet de beaucoup de règles, mais petit à petit, j’en accepte certaines et il n’est pas exclu que j’essaye avec un acteur connu pour mon prochain film.

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