Silvia Luzi et Luca Bellino • Réalisateurs de Luce
“Le visage de Marianna Fontana est le paysage du film”
par Savina Petkova
- Le duo italien nous en dit davantage sur sa spectaculaire actrice principale et la figure archétypique qu'elle incarne

Un des prétendants au Léopard d'or du Festival de Locarno cette année s'articule autour d’une jeune brunette dont on ignore le nom. Dans Luce [+lire aussi :
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interview : Silvia Luzi et Luca Bellino
fiche film], Marianna Fontana joue une employée, une fille, ou simplement une femme dans sa vingtaine qui ne sait pas trop où elle va dans la vie, mais qui est déterminée à renouer avec son père incarcéré. Après la première du film, Cineuropa a rencontré ses auteurs, Luca Bellino et Silvia Luzi, pour discuter des aspects les plus uniques du film, ainsi que de sa formidable comédienne principale.
Cineuropa : “Luce” signifie lumière en italien, et pourtant le film s’ouvre sur un écran noir et un son de martèlement. Pouvez-vous nous parler de la décision d'ouvrir Luce de cette manière ?
Luca Bellino : Les scènes d'ouverture sont très importantes pour nous : nous voulons tout y mettre d’un coup d'un seul. Ici, vous voyez du noir et tout est son ; il n’y a pas d’action, mais une action au vrai sens du terme est derrière la séquence (elle cloue l'armoire de sa chambre). Le bruit peut aussi rappeler celui d'une usine, ou évoquer la représentation métaphorique d’une obsession, quand on a à l’esprit quelque chose de si persistant qu'on parle de martel en tête.
Pourquoi avez-vous choisi de ne pas spécifier où se passe le film ? J’essayais de le deviner à partir des dialectes qu'on y entend.
Silvia Luzi : C’est le sud de l’Italie, mais un sud très particulier. Dans notre imaginaire, le sud est ensoleillé, plein de musique, proche de la mer, mais ici, on est dans un paysage de montagnes, il fait froid, et tout ce qu'on voit est une petite ville industrielle. Elle n’a pas de nom mais c’est un des trois sites d'Italie où on trouve les usines qui fournissent leur cuir à des labels de la mode comme Gucci et Prada. Le personnage principal non plus n’a pas de nom.
L. B. : Pour ce qui est du dialecte parlé ici, ce n’est pas du napolitain typique mais un dialecte très ancien dans cette partie d’Italie qui est similaire. Il remonte à bien longtemps et certaines de ses expressions sont très démodées. Les travailleurs du coin l'utilisent. Ainsi, ils ont leur propre mot pour leur métier, un terme qui n’existe pas ailleurs : ce n’est pas un mot italien, ni napolitain, mais un mot totalement indépendant qui évoque le bruit d’un marteau qui tape. Même si à vrai dire, ces travailleurs ne clouent rien !
Comment avez-vous écrit les dialogues du film alors ? Et les conversations téléphoniques qui constituent le plus gros des dialogues ?
L. B. : En effet, la voix au téléphone ne parle pas dans un dialecte italien en particulier : c'est un mélange de tous les dialectes parlés en prison. Quand vous passez vingt ans en prison, votre dialecte change.
S. L. : Hormis Marianna [Fontana], tous les autres comédiens sont de vraies personnes : les travailleurs sont de vrais travailleurs, la famille est une vraie famille. Nous avons aussi visité des prisons pendant des mois. Nous avons parlé aux prisonniers, écouté ce qu'ils avaient à dire, en essayant de comprendre leurs sentiments, leur tristesse, leur désir d’être plus proches. Nous avons répété de faux appels téléphoniques avec eux et grâce à leurs mots, nous avons écrit le texte du père.
Je voulais vous interroger sur le tissu social du film et le rôle de la famille, des motifs périphériques à l'histoire du personnage principal et de son père absent. Pourquoi était-il important de les inclure ?
L. B. : C'était important pour Marianna, à vrai dire. Elle a vraiment travaillé dans cette usine pendant trois mois avec les travailleurs, qui ne la connaissaient pas : elle était sous couverture. Pour Marianne, il était très important de sentir les autres.
S. L. : Et pour nous d'avoir cette famille pour faire office de choeur, comme à l’église. L’environnement social, la famille et l’usine forment un choeur autour du personnage principal. Les trois parties sont des sortes de prisons, si vous voulez : l'usine, la famille, la prison elle-même. Dans les trois cas, on y devient quelque chose d’autre, on ne peut plus y être soi-même.
L. B. : Tout fait très réel dans le film mais dans notre idée, il fallait que le film se passe dans sa tête. Nous avons besoin de sentir l’oppression autour d'elle, et nous espérons que le public peut entrer dans son espace mental et sentir cette pression aussi.
Le film ne quitte jamais Marianna et bien qu'on ait du mal à deviner ce qu'elle pense, on la sent très bien. Il y a quelque chose de très spécifique dans son jeu, mais je n'arrive pas tout à fait à mettre le doigt dessus.
S. L. : Nous avons travaillé au niveau micro : micro-sentiments, micro-sensations, micro-expressions. On peut toujours être plus expressif, mais comme le personnage vit un tourment intérieur qui n'explosera jamais, son visage doit en devenir l’expression. Nous cherchons un jeu qui est un ton en dessous, un jeu atténué. Et quand elle pleure, elle ne verse qu’une seule larme !
(Traduit de l'anglais)
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