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LOCARNO 2024 Hors compétition

Aislinn Clarke • Réalisatrice de Fréwaka

"Une grande partie des Irlandaises sont très polies en public mais en elles, elles hurlent, sont drôles, irrévérencieuses et parfois grossières, et c'est tellement rafraîchissant"

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- Nous avons rencontré la réalisatrice irlandaise dont le nouveau film, qui réunit deux personnages féminins formidables, parle des traumatismes hérités et de la manière dont nous les gérons

Aislinn Clarke • Réalisatrice de Fréwaka
(© M. Martegani/Locarno Film Festival)

Le tout premier film d’horreur jamais tourné en irlandais, Fréwaka [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Aislinn Clarke
fiche film
]
 d'Aislinn Clarke, qui a fait première hors compétition au Festival de Locarno, est sur le point de réouvrir les plaies de l’Irlande et de mettre en avant les conséquences de traumatismes que nous avons hérités de nos ancêtres. Cineuropa a rencontré la réalisatrice pour l’interroger sur sa relation avec le cinéma de genre et ce qui l'a inspirée quand elle a créé ses personnages.

Cineuropa : D’où vient votre passion pour le cinéma de genre, plus spécifiquement le cinéma d’horreur ?
Aislinn Clarke :
J’ai grandi avec le cinéma d’horreur. Quand j’étais enfant, le vendredi, je louais des cassettes vidéo et regardais des films d’horreur. Très tôt, ils se sont mis à constituer pour moi un exutoire, parce que j’étais assez angoissée – j'avais peur de tout, le monde réel me faisait peur, il me semblait trop chaotique. À l’inverse, les films d’horreur créaient pour moi une sorte de monde contrôlé où même les choses horribles qui s'y passaient étaient compréhensibles. Ils sont devenus source de réconfort. C’est réconfortant de regarder toutes ces choses bizarres. Ceci étant dit, je ne dirais pas que je compte ne faire que des films d’horreur ; c'est juste que je tends à souligner l’aspect sombre des choses. Je ferai encore des films d’horreur, mais pas forcément uniquement.

Avez-vous jamais craint de vous voir apposer l'étiquette de réalisatrice de films d’horreur ?
Il y a un snobisme par rapport à ce genre parmi les fans de cinéma au sens plus général du terme. Ils mettent les films d’horreur dans des catégories (il y a des films d’horreur de qualité, il y en a des bons et des mauvais), ce qu'ils ne font pas avec d’autres genres, comme la comédie, par exemple. Personnellement, je n'ai pas envie d'être étiquetée réalisatrice de films d’horreur, tout simplement parce que je ne pense pas me cantonner à ça pour toujours. Pour moi, c’est l’histoire qui compte, la manière dont j’aborde le monde, et si je pense que je peux ou pas faire quelque chose de concret avec l’histoire que j’ai en tête. C’est la première chose qui me vient, avant de réfléchir au genre du film. Ce serait étrange de m'en tenir à un genre en particulier comme si c'était un style de vie.

Les traumatismes vécus et la difficulté d’en parler et de partager sont au cœur du film. Croyez-vous vraiment que le passé sombre de l’Irlande influe sur l'inconscient de ses habitants, y compris la jeune génération, à laquelle appartient Shoo ?
Je ne voudrais pas être trop négative sur la question, mais je pense qu’il est presque impossible d’échapper aux traumatismes de notre histoire : il y en a une telle part qui se transmet d'une génération à l'autre. Des études existent qui montrent que ça se transmet physiquement, que c’est physiquement tangible, mais aussi psychologiquement, de manière inconsciente. C’est un élément important de l’identité irlandaise, et la raison de sa tristesse. C’est vraiment difficile d’y échapper. Réfléchir et parler de nos propres traumatismes est vraiment utile, mais c’est aussi quelque chose de très difficile à affronter. L'Irlandais, tout au long de l'histoire, a toujours tendu à garder ses zones obscures et son chagrin pour lui tout en arborant pour le monde un visage de clown, le visage que le monde veut voir.

En parlant de l’identité de l’Irlande, pourquoi avez-vous décidé de tourner votre film en irlandais ?
À vrai dire, c’est très simple. J’avais écrit un film en irlandais que je n’ai pas réalisé, et puis la même société de production m’a demandé si je voulais réaliser un film d’horreur en irlandais, et je me suis dit que ça pourrait être très intéressant. En plus de ça, j'ai parlé irlandais toute mon enfance, donc ça me semblait tout naturel. Une fois que j’ai accepté la proposition, je me suis mise à réfléchir à la meilleure manière d’utiliser l’irlandais : de quoi je parle ? Qu’est-ce qui est important dans l'"irlandité", dans notre histoire et notre futur ? Dans le film, on a deux personnages, Peig et Shoo, qui représentent deux types d’Irlandes très différents.

Ce que j’aime particulièrement dans le film, c'est que les héroïnes s'autorisent à être grossières. J'aime leur comportement "anti-féminin". Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect du film ?
J'ai décidé assez tôt que je voulais raconter mon histoire en adoptant la perspective de deux femmes irlandaises qui ont chacune hérité d'énormes traumatismes. Après, je ne voulais pas aller dans le sens des attentes par rapport aux normes de genre en particulier. Mais c’est aussi ma propre expérience de femme en Irlande. Peig ressemble vraiment à quelqu'un que je pourrais connaître, elle est piquante et drôle. Beaucoup de femmes irlandaises sont très polies en public mais intérieurement, elles hurlent. Elles sont drôles, irrévérencieuses et parfois grossières, et c’est tellement rafraîchissant. Je ne voulais pas perpétuer l'image de la vieille dame polie, car elle n'est pas du tout comme ça et elle n'a pas à l'être. L'idée était d'être fidèle aux personnages, que je puisse y croire.

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