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LOCARNO 2024 Cineasti del Presente

Olga Korotko • Réalisatrice de Crickets, It's Your Turn

“Je raille le patriarcat et le machisme, mais il n'y a rien de drôle là-dedans”

par 

- La réalisatrice kazakhe installée à Dubaï est convaincue que la masculinité toxique et le sexisme peuvent être vaincus par la raison au lieu d'user la force

Olga Korotko • Réalisatrice de Crickets, It's Your Turn

Après Bad Bad Winter en 2018 (en lice à l'ACID de Cannes), Olga Korotko concourt à Locarno, dans la section Cineasti del Presente, avec son deuxième long-métrage, Crickets, It's Your Turn [+lire aussi :
critique
interview : Olga Korotko
fiche film
]
, un récit rempli d'hommes méprisables et de femmes courageuses. L'interview de Cineuropa avec Korotko a tourné à la conversation sur les personnages caricaturaux et répugnants qui reflètent des comportements toxiques existant dans la vraie vie.

Vous explorez des sujets sérieux, comme l’exploitation, le patriarcat, la hiérarchie, le viol et la justice. Comment avez-vous abordé mentalement ces questions très chargées pendant l’écriture ?
Olga Korotko :
Je ne les vois comme indépendantes l’une de l’autre. Ces phénomènes sont les symptômes de la même maladie. Qu'on parle de patriarcat, la discrimination ou d'injustice sociale, la racine de ces problèmes est globalement la même. C'est juste que chacun s'exprime différemment. De fait, mêler ces sujets est venu naturellement.

Le monologue du mâle alpha  Bahyt (Arnur Kusaingazin), où il parle de violence et de darwinisme à partir de l'angle déformé de sa masculinité toxique, est provocateur. Qu’espériez-vous transmettre à travers ce discours ?
Je suis convaincu que le trait commun entre ces problèmes est la configuration d’esprit selon laquelle tout est une compétition. Si on n'est pas le gagnant ou l’agresseur, on devient la victime. Merey [Inzhu Abeu] va contre cette mentalité. Comme nous avons des choses différentes à offrir au monde, nous n'avons pas besoin de nous faire la compétition ou de vouloir dominer.

Est-ce que même les personnages masculins peuvent offrir quelque chose au monde ? Ils sont si méchants et répugnants.
Oui, mais ils ont le potentiel de changer. Je ne crois pas aux oppositions binaires : le bien contre le mal. Le comportement des gens dépend de la manière dont leur esprit est configuré. Ces types tournent leur agressivité vers la mauvaise cause, mais cette même énergie aurait pu en servir une meilleure.

Tous les personnages masculins ici font l'effet d'être méprisables. L'exagération était-il voulue, pour créer un contraste net et faire valoir votre propos ?
Oui. Ce tableau ne se veut pas réaliste. Aussi, quand le film dépeint les fantasmes de Merey, la réalité cinématographique n’est pas exactement la réalité de sa vraie vie. Les comportements machistes aussi sont exagérés. Le titre du film est une expression utilisée dans les situations où une blague n’est pas drôle. Je me moque du patriarcat et du machisme, mais il y a pas de raison de rire, car on pourrait s'en passer.

Nurlan (Ayan Batyrbek), bien qu’il semble moins désagréable que les autres, n'en reste pas moins profondément antipathique. On pourrait même dire que sa prétention d’être meilleur et sa tendance à agir comme un suiveur avec les autres en font un type encore plus problématique que ses copains. Comment avez-vous procédé pour créer ce personnage ?
C’est le genre de personne qui croit dans le darwinisme social. Il suit les autres sans volonté de dominer. Il tâche juste de s'adapter au milieu dans lequel il évolue, comme un caméléon. Au début, il fréquente un autre milieu, mais je pense que les derniers actes de Nurlan reflètent son désir de s'ancrer dans le système patriarcal.

Ne le voit-il jamais comme un environnement toxique ?
Pas vraiment. Les membres du public qui le reconnaissent vont comprendre l’intention du film d'attirer l'attention sur ce problème. De l’intérieur, Nurlan ne peut pas objectivement évaluer la toxicité de cet univers. Il faut être sorti du système pour être en mesure de l’analyser.

Ça devient presque un pur film de vengeance, mais ça finit par être un féminicide cinématographique. Pourquoi ?
L'idée court selon laquelle les femmes, ou les victimes en général, doivent être aussi fortes que les agresseurs pour les battre. Il faudrait les combattre sur leur propre terrain et avec leurs propres armes, ce qui définit en gros l'essence d’un film de vengeance. Je comprends l’approche consistant à lutter contre le feu avec le feu pour une bonne cause, mais je crois qu’il y a une alternative. En choisissant la beauté, Merey gagne. Elle utilise ses talents de photographe pour avoir une influence positive sur les autres. C’est la seule qui s’adresse aux filles invitées par leur nom. Son appareil photo ne les traite pas comme des objets.

La parole est un marqueur crucial pour définir les personnages, pas seulement à cause du vocabulaire employé. La tendance à garder le silence dans certaines situations est tout aussi éloquente. Avez-vous été très attentive à cela en écrivant ?
Très, surtout en écrivant les dialogues machos et sexistes. Je n'ai pas de personnes comme ça autour de moi mais un soir, par hasard, je me suis retrouvée dans un cercle de ce type. Les gars faisaient les gros bras avec des histoires machistes du même genre. J’ai trouvé là la matière que je cherchais. Par ailleurs, Nurlybek Maulezaripov, qui joue Max, a fait des recherches en observant certaines de ses connaissances et en surfant sur certains forums. Sur le plateau, il a raconté des histoires sexistes sur les mecs qui paient des filles pour venir à leurs soirées. Nous avons filmé. Toutes les réactions des autres acteurs étaient authentiques.

Le russe est utilisé de manière prédominante, avec de temps en temps des phrases en kazakh. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect bilingue ?
Je voulais rendre compte du mélange des cultures et des langues. Au Kazakhstan, les gens passent tout le temps d'une langue à l’autre. Au début, le scénario n'était qu'en russe mais ensuite, j’ai encouragé les acteurs à passer au kazakh dès que l'envie leur en prenait.

(Traduit de l'anglais)

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