Mohammad Rasoulof • Réalisateur des Graines du figuier sauvage
“Mes collaborateurs sont victimes d'une forme de torture à petit feu”
par Teresa Vena
- Le réalisateur iranien nous en dit plus sur l'origine du film qu'il a présenté en compétition à Cannes, ainsi que sur la situation politique actuelle en Iran

Après sa première mondiale à Cannes, où le film a remporté le Prix spécial du jury, Les Graines du figuier sauvage [+lire aussi :
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fiche film] de Mohammad Rasoulof a été projeté au Festival de Locarno, sur la Piazza Grande. Nous avons interrogé le réalisateur sur l’origine du film ainsi que sur la situation politique actuelle en Iran.
Cineuropa : Vous utilisez dans le film les vraies images des révoltes de 2022-2023. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette décision ?
Mohammad Rasoulof : J’étais en prison quand la révolte a commencé. C’est pour cela que je ne pouvais pas participer ou voir ce qui se passait. Dès que je suis sorti, j’ai commencé à regarder toutes ces vidéos avec beaucoup de curiosité. Je les ai trouvées prodigieusement intéressantes, d’abord parce que ça a été un moment où chaque individu s'est transformé en journaliste et s’est mis à filmer. Les gens ont fait preuve d’un immense courage en filmant ce qui se passait dans les rues, car cela aurait pu avoir des conséquences terribles. En même temps, ils ont aussi révélé les énormes changements amenés par les réseaux sociaux dans la société, et particulièrement la relation de la nouvelle génération avec les réseaux sociaux et la société dans son ensemble. Je me suis mis à réfléchir aux aspects techniques du possible projet de recréer ces scènes moi-même, or même si j’avais eu la capacité de le faire, s'il avait été concevable d’obtenir les autorisations de tournage pour le faire, comment aurait-il été possible de recréer la puissance, la vérité brute, la force, la crédibilité de ces vidéos ? Clairement, ça ne l'était pas.
La première chose qui peut venir à l’esprit, c'est que j’ai choisi de montrer les vidéos moins connues, mais en fait, ce n'est pas ce que je voulais faire. Je me suis dit qu'il était plus juste, et que ça fonctionnerait mieux, de choisir les vidéos connues, que les gens ont déjà vues. Ainsi, les gens allaient reconnaître l'émotion qu'ils ont ressentie en les découvrant pour la première fois.
Pouvez-vous parler de votre passage en prison ?
J’étais arrêté à la mi-juillet 2022. J’ai été interrogé continuellement pendant plusieurs semaines, puis envoyé en prison. Là, j’ai rencontré Jafar Panahi, et c’est comme ça que j’ai su qu’il était en prison. Nous avons été détenus ensemble pendant environ sept mois. Je suis sorti début 2023. On m'a incarcéré à cause de condamnations antérieures que je n’avais pas encore purgées. Ma peine actuelle, qui est de huit ans, vient de mon film précédent, Le Diable n'existe pas [+lire aussi :
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Pour Les Graines du figuier sauvage, vous avez choisi de nommer les collaborateurs et acteurs qui ont participé. Ont-ils été sanctionnés de ce fait ?
Ils sont en Iran et vivent sous une énorme pression. On leur a interdit de quitter le pays, leurs passeports ont été confisqués, et ils sont interdits de travail. C’est une forme de torture systématique que le régime emploie pour contrôler les artistes et s’assurer qu’ils ne peuvent pas poursuivre leurs vies quotidiennes. Ils sont des victimes d’une forme de torture lente.
Quelle est votre vision de la situation, en Iran, en ce moment ?
Je pense que les élections présidentielles pour un nouveau gouvernement sont une arme que le régime déploie afin de donner aux gens un sentiment de liberté immédiat, qui lui permet en fait de se reconstruire. C’est une manière de tenir la résistance à distance. Je ne pense pas qu’il puisse y avoir de vrais changements pour le moment. Il n’en reste pas moins qu'il y a un grand sentiment de mécontentement sous-jacent et de colère contre le régime. Nous pouvons le voir dans l'énorme taux d’abstention aux élections. Plus de 60 % de la population a boycotté les élections, mais ça ne signifie pas que seuls 60 % des gens sont contre la République. Beaucoup de ceux qui sont allés voter l'ont fait dans l’espoir de pouvoir changer quelque chose.
Quelle a été la réaction de vos collègues ?
En tant que cinéaste iranien, j’ai été complètement bluffé, en bien, par la réaction de la communauté du film iranienne par rapport à la révolte. Avant, il était très difficile de voir même la plus petite réaction de leur part par rapport à différents événements au sein de la société. Grâce à la détermination des gens, ils ont été quelque peu forcés de réagir, mais ils voulaient aussi clarifier leurs positions par rapport à la République islamique.
(Traduit de l'anglais)
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