email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

LOCARNO 2024 Cineasti del Presente

Adele Tulli • Réalisatrice de Real

“Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre ce qui est en train de se passer dans nos vies”

par 

- La réalisatrice italienne nous parle de la jeunesse de son film, mais aussi du rapport, à la fois cathartique et pervers, que notre société cultive avec les nouvelles technologies

Adele Tulli • Réalisatrice de Real
(© Locarno Film Festival)

Real [+lire aussi :
critique
interview : Adele Tulli
fiche film
]
, le deuxième long-métrage de l'Italienne Adele Tulli, parle de nos vies quotidiennes hyper connectées, mais aussi des possibilités inattendues qu'offre le monde numérique par rapport à la fluidité de genre. Le film, en lice dans la section Cineasti del Presente du Festival de Locarno, est comme un miroir déformant qui nous met face à nos dépendances et nos angoisses.

Cineuropa : Comment est née l'idée du film, et quelles recherches avez-vous faites sur le sujet pour préparer le tournage ?
Adele Tulli :
À vrai dire, je m'intéresse à la question des nouvelles technologies depuis de nombreuses années. À la fin du montage, j’ai découvert que la date de naissance établie du net est 1983, et c'est quand même drôle de penser que d’une certaine manière, moi qui suis née en 1982, je peux témoigner de toutes les évolutions qui se sont produites par rapport à ces technologies, jusqu’au moment où leur présence s'est mise à s'lmposer de plus en plus dans nos vies quotidiennes. C'est une révolution considérable qui a transformé notre manière d'entrer en contact les uns avec les autres. J’ai toujours été fascinée par ces changements. Quand est survenue la pandémie, tout a pris des proportions inimaginables : la numérisation de nos vies a atteint des niveaux qu'on n'imaginait pas. En Italie, le confinement a été vraiment marqué : nous avions tous le sentiment d’être enfermés dans nos corps, isolés dans nos murs pendant des mois, et l’écran est devenu la seule porte de sortie vers l’extérieur. Dans ce moment, quelque chose a changé, aussi parce qu'à cause des innombrables conférences virtuelles, l’image de nous était toujours là, comme si nous étions constamment en train de nous regarder dans un miroir. Cette sensation d’être constamment devant sa propre image, l’écran ou le miroir, et que cela soit le seuil de l'accès au monde me préoccupait et me fascinait. Quelque chose de colossal était en train de se produire, et c'est là que j'ai senti l'envie d’écrire les premières pages de ce projet. Nous avons fait beaucoup de recherches et nous avons beaucoup consulté : des universitaires, des experts, des philosophes. Nous avons beaucoup exploré les univers et les communautés liées à la VR. Même si les nouvelles technologies sont au centre du récit, le film parle surtout d'êtres humains, et d'écologie parce que ce qui m’intéresse, c’est de comprendre ce qui se passe dans nos vies.

Dans votre film, la notion de réalité est déconstruite à travers le médium filmique. Qu'est-ce que le cinéma offre de plus, selon vous, par rapport à d’autres formes d’expression artistique, pour parler de la société dans laquelle nous vivons ?
Je me suis lancée dans le cinéma sans avoir réellement étudié le cinéma. Avant, j’étais plutôt dans la recherche. Mon film précédent, Normal [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film
]
, était déjà un film-essai. Il n’y a jamais de récit linéaire dans mes films. Ce qui m'intéresse n’est pas de raconter une histoire, mais plutôt d'utiliser le médium cinématographique pour explorer des idées. À l'opposé de l'analyse critique de style académique, par exemple, le cinéma me permet d’exprimer mes idées à travers des suggestions et des images. J’aime le fait que le cinéma me permet d’explorer le monde, mais de manière poétique, à travers des suggestions et des associations d’images.

Dans vos films précédents, vous tâchez souvent d'observer le monde avec un regard féministe et queer. D’où vient cet intérêt pour les récits alternatifs, obliques, qui vont contre la norme ?
Les chats en VR sont une réalité que je ne connaissais pas, c'est une plateforme à l’intérieur de la VR où l'on peut créer des mondes vraiment queers. On peut y constituer des mondes sans limites, totalement inclusifs, où les genres n'existent pas et où les gens, à travers leur avatar, peuvent être qui ils ont le sentiment d’être vraiment. Cette ouverture mentale, la possibilité de choisir librement sa propre identité de genre est, pour les gens que j’ai rencontrés, non seulement libérateur, mais aussi thérapeutique.

Dans votre film, les technologies numériques sont à la fois un espace de liberté et des prisons dangereuses dont il est difficile de s’échapper. Quel est votre point de vue sur la question ? Reste-t-il de l’espoir ?
Ce film aura été un parcours de découverte. D’un côté, il y a quelque chose de très libérateur dans la VR ; elle permet d'échapper au réel tout en vous permettant, en même temps, de reprendre le contrôle de votre propre vie et d'apprécier ce sentiment d'autonomie, mais de l'autre côté de la médaille, il y a les cliniques de désintoxication des technologies numériques. Si, d’un côté, les nouvelles technologies ont un côté thérapeutique, de l’autre, on voit bien la pathologie qui se développe. La technologie n'est au départ qu'un outil qui n’est en lui-même ni positif, ni négatif : tout dépend de l’utilisation qu'en fait chacun, et ça, ça en dit long sur la société dans son ensemble. Le problème n’est pas tant la technologie en soi que la direction que notre société a prise, avec ce turbo-capitalisme qui ne respecte ni la planète, ni les gens. Nous vivons dans une ère qui donne l'impression de galoper vers l'apocalypse.

(Traduit de l'italien)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Lire aussi

Privacy Policy