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LOCARNO 2024 Compétition

Ala Eddine Slim • Réalisateur d'Agora

“Je pense que le monde se divise en deux catégories : les oppresseurs et les opprimés”

par 

- Dans son troisième long-métrage, le cinéaste tunisien réfléchit sur les motifs politiques de la libération et la résistance à travers des rêves animaliers

Ala Eddine Slim • Réalisateur d'Agora
(© Locarno Film Festival/Ti-Press)

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d'Ala Eddine Slim, sélectionné cette année en compétition au Festival de Locarno, aborde des thèmes sociaux et politiques importants. Dans une ville tunisienne dont on ignore le nom, trois personnes disparues reviennent, au grand trouble des locaux, ce qui amène les autorités à vouloir étouffer l'affaire. Ce qui est le plus intéressant dans Agora, c'est que toute l'histoire se passe dans le rêve d’un chien et d’un corbeau. Cineuropa a rencontré le réalisateur pour discuter de la raison pour laquelle ce dispositif est un élément important de la prémisse du film et s'interroger sur le futur (ou pas) de l’humanité.

Cineuropa : Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont vous montrez les animaux en train de se parler, à l’intérieur du rêve ? Vous aviez déjà employé ce dispositif visuel dans votre film précédent, Tlamess [+lire aussi :
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Ala Eddine Slim :
Les animaux du film ont la fonction de témoins du déclin de l’humanité qui est en cours. Je ne voulais pas utiliser des voix ou des sons pour les dépeindre, donc j’ai eu recours à l'expérience que j’avais déjà tentée dans mon film précédent, afin d’insister sur l’aspect visuel de la chose. C’est un outil que je pourrai encore réutiliser et améliorer.

Que dire du rôle du rêve ? Les animaux qui rêvent comme témoins du déclin de l’humanité ? Ce qui est un cauchemar pour les humains est un rêve pour les animaux.
Je pense que c’est un cauchemar pour les animaux aussi, parce qu’ils voient leurs congénères se faire massacrer par les humains. Un rêve peut être une bonne ou une mauvaise chose, d’une certaine manière. Peut-être que cette histoire n’existe pas du tout (on voit très peu d'habitants dans ce lieu, l'endroit a l'air un peu abandonné) et que tout ce qui se passe ici se passe entièrement dans leur imagination. Que ce soit un cauchemar ou un rêve, pour moi, ça ne fait pas vraiment de différence, à vrai dire. Les animaux sont là pour sonner l’alarme, pour nous dire ce qu'il pourrait être en train se produire de néfaste.

Le retour des trois personnes disparues s'inspire de faits réels, n’est-ce pas ?
Oui, la question des personnes disparues est également présente dans mon film précédent : un homme noir d’Afrique subsaharienne essayait de traverser pour rallier l'Afrique du Nord. À un moment, il a disparu et il est devenu une sorte de mutant. Il faut savoir qu’en Tunisie, et plus spécifiquement dans la zone d’où je viens, c’est une chose qui arrive très souvent, par exemple aux gens qui traversent la mer, comme la femme qui a disparu en mer dans le film. Le berger qui se fait trancher la gorge s'inspire d'un cas survenu en 2012-2013, quand un type a été enlevé par un groupe de terroristes dans les montagnes, près de la frontière algérienne. On n'a retrouvé de lui que la tête. Il y a aussi beaucoup de cas de travailleurs qui disparaissent.

Sont-ils représentatifs d’un thème politique plus vaste présent dans Agora ?
Dans le film, je les utilise comme des exemples de l’échec de l’État lui-même. Ils ne vont pas enquêter pour découvrir la véritable explication, personne ne cherche la justice, or je pense que le passé va revenir nous punir, et que ce sera drastique. Donc oui, les gens qui reviennent sont une métaphore de l’échec du gouvernement, et cet échec devient de plus en plus clairement représentatif de l'échec de l’Humanité toute entière. Je ne dirais pas que c’est une malédiction, pas exactement, mais c'est une forme de vengeance, comme s'ils disaient : "Tu ne t’es jamais vraiment soucié de nous, alors on va revenir pour te donner une leçon".

L'idée que des animaux voient toutes ces choses plus clairement que les humains est poignante. Gardez-vous tout de même un certain optimisme par rapport à l’humanité ?
Je pense que je suis réaliste quant à la nature humaine. Nous vivons dans un monde dominé par la folie et l'absurdité. Si vous regardez ce qui se passe en Palestine, au Soudan, ou dans nos propres pays ainsi que dans nos vies personnelles, il est évident qu'il nous faut résister, avec force. Il y a déjà des hommes et des femmes qui se battent pour un monde meilleur, c’est vrai, mais en même temps, il y a trop de gens au pouvoir qui imposent leur ordre à tous les autres. Encore une fois, ce qu'on a besoin de faire, c’est de résister.

Prenez les frontières, par exemple, et cette politique qui est d’avoir des murs de plus en plus hauts : on voit bien que ça ne va pas marcher sur le long terme, parce que le courant [de la résistance] sera toujours plus fort. Je pense que le monde se divise en deux catégories de gens, les oppresseurs et les opprimés, et que s'il y a une justice, tout va revenir comme un boomerang et frapper les responsables de cette situation.

(Traduit de l'anglais)

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