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LOCARNO 2024 Hors compétition

Bertrand Mandico • Réalisateur de Dragon Dilatation

"Je me suis interrogé sur la place de l'écran dans le contexte du spectacle vivant"

par 

- Le réalisateur français nous parle de la fusion de l'art cinématographique avec le spectacle vivant et de l'exploration des abus de pouvoir dans l'industrie de la mode et du cinéma

Bertrand Mandico • Réalisateur de Dragon Dilatation
(© Locarno Film Festival/Ti-Press)

Bertrand Mandico est un réalisateur français reconnu pour son style unique, mêlant l'expérimentation visuelle à des récits qui défient les conventions narratives. Le cinéaste nous parle ici de la fusion de l'art cinématographique avec le spectacle vivant et de l'exploration des abus de pouvoir dans l'industrie de la mode et du cinéma à laquelle il se livre dans Dragon Dilatation [+lire aussi :
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, présenté hors compétition au Festival de Locarno. Il évoque aussi l'importance de l'expérimentation esthétique dans son œuvre.

Cineuropa : Comment Dragon Dilatation s'intègre-t-il dans votre œuvre, en particulier par rapport à votre travail sur Les Garçons [+lire aussi :
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Bertrand Mandico
: Dragon Dilatation, c'est la réunion de deux films qui sont liés au spectacle vivant, d'où leur association. Au départ, je n'avais pas l'intention de les rassembler, mais ces deux films répondent à des commandes. Le premier est Petrouchka, une relecture du ballet qui a été projetée lors du Festival d'Aix-en-Provence.

Je me suis interrogé sur la place de l'écran dans le contexte du spectacle vivant, et sur la manière de créer un film dans ce cadre. J'ai choisi de travailler avec le split screen car j'ai moi-même un handicap visuel : un stabisme divergent, qui me donne une vision double. J'ai donc vraiment exploré cette technique, en utilisant des mouvements de caméra contradictoires avec des situations similaires pour créer une dynamique chorégraphique.

Le deuxième film, La Déviante Comédie, est un film sur un spectacle qui n'a jamais eu lieu. L'idée était de mettre en scène les recherches que j'ai faites pour Conann [+lire aussi :
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. C'est un film que j'ai réalisé avant Conann, mais que j'ai monté récemment. C'est une sorte de projet d'attente avant Conann. J'ai filmé ce spectacle comme un reporter de guerre, caméra à l'épaule, en 16mm. J'ai travaillé sur l'idée de conserver deux prises et de les monter en parallèle, en jouant sur les variations et le rythme des acteurs et actrices. Ainsi, ces films sont plus des films-essais, voire un documentaire dans le cas du deuxième.

Qu'est-ce qui vous a attiré dans le ballet de Stravinsky ?
Ce n'est pas moi qui ai choisi Petrouchka, c'est le Festival d'Aix-en-Provence qui me l'a proposé. J'adore Stravinsky, mais je ne connaissais pas bien Petrouchka avant. J'étais libre de faire ce que je voulais, mais j'ai décidé de travailler sur le livret originel. Ce qui m'a intéressé, c'est l'histoire d'un magicien cruel avec trois marionnettes, et j'ai transposé cela dans le milieu de la mode, en abordant les abus de pouvoir et les mannequins dont on profite. Petrouchka devient dans mon histoire une femme, un mannequin accro à la drogue, sous l'emprise d'une couturière démoniaque.

Il était impensable pour moi de traiter ce ballet russe sans évoquer la guerre en Ukraine et le conflit avec la Russie. J'ai donc intégré cette tension guerrière et violente dans mon récit. Tout se passe dans des souterrains, et on suit les aventures des personnages jusqu'à la mort de Petrouchka. Pour moi, il était important de travailler sur la condition humaine dans le cadre du ballet, avec une approche formelle très forte.

Comment La Déviante Comédie s'intègre-t-il dans votre cycle barbare ?
Tout a commencé quand Philippe Quesne m'a proposé de faire un spectacle au Théâtre des Amandiers. Il m'a dit : "Fais du cinéma sur scène, cela fera office de spectacle". J'ai profité de cette invitation pour préparer le film Conann que j'étais en train d'écrire. J'ai écrit un spectacle qui mettait en scène un double, Octavia, qui se pose des questions sur Conann et commence à répéter avec des actrices. C'était une mise en abyme. Nous avons commencé à construire des décors qui allaient servir pour Conann, et j'ai travaillé avec les actrices sur les costumes et le texte. Le spectacle n'a pas eu lieu à cause du COVID, mais j'ai décidé de filmer ce qu'il devait être, en Super 16.

Vos films abordent souvent le thème de la transformation de l'identité. Est-ce aussi un thème présent dans Dragon Dilatation ?
Non, je ne pense pas que la transformation de l'identité soit le thème central ici, même si la question de l'identité est présente, avec des personnages non-genrés, etc. Pour moi, le sujet principal, c'est le martyre des actrices et des mannequins, l'abus de pouvoir, et comment, dans le monde actuel, cela se manifeste également dans la deuxième partie, où les actrices sont décrites comme des martyres du cinéma. Je m'interroge sur ce médium qu'est le spectacle, car je considère que le mannequinat fait aussi partie du monde des arts. Comment ces corps, mis en avant, peuvent-ils être ainsi martyrisés et maltraités par le système ? C'est cette réflexion qui était importante pour moi. Dans un monde où la barbarie est omniprésente, où le conflit règne, je pressentais déjà tout ce qui allait se passer en écrivant cela. Il y a donc ici une vision très sombre du monde. Curieusement, je suis maintenant plus optimiste, car je pense qu'il faut.

Vous avez dit que réaliser des films est une forme de combat politique pour vous. Est-ce que cela s'applique à Petrouchka ?
Oui, absolument. Petrouchka est très politique. Comme je vous le disais, j'avais cette commande, et il y avait la Russie. Il y avait aussi des manifestations en France, où de jeunes gens étaient passés à tabac par la police, une police très violente et portée aux abus. Des gens blessés par la police et une dimension totalitaire qui s'installe en Europe : tout cela est présent dans le film, il parle d'abus de pouvoir. Il y avait aussi le mouvement MeToo, les abus dans le milieu du mannequinat et de la mode. Une des trois héroïnes, Catherina, est un mannequin qui est devenue porte-parole des mannequins victimes d'abus dans le cadre du mouvement MeToo en France. Il était important qu'elle soit là pour témoigner avec son corps et sa présence.

Pouvez-vous parler de vos projets futurs ?
J'ai l'impression de conclure un cycle, avec Dragon Dilatation. Mes projets à venir incluent de nouveaux longs-métrages qui s'orienteront peut-être davantage vers le réalisme. J'ai envie d'essayer de nouvelles choses et, comme je vous le disais tout à l'heure, d'ouvrir la fenêtre de l'optimisme.

(Traduit de l'anglais)

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