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LOCARNO 2024 Compétition

Saulė Bliuvaitė • Réalisatrice de Toxic

“Quand on a 13 ans, on n'a pas encore dit au revoir à ses jouets : on joue avec des Barbies, même si on fume aussi des cigarettes”

par 

- La réalisatrice lituanienne lauréate du Léopard d'or nous en dit plus sur son film, où deux filles essaient de se forger une vie meilleure en s'inscrivant à une école de mannequinat

Saulė Bliuvaitė • Réalisatrice de Toxic
(© Locarno Film Festival/Ti-Press)

La réalisatrice lituanienne Saulė Bliuvaitė a gagné le Léopard d’or avec son premier long-métrage, Toxic [+lire aussi :
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interview : Saulė Bliuvaitė
fiche film
]
, deux jours après sa première mondiale en compétition à Locarno (lire l'article). Peu après cette victoire, elle a parlé à Cineuropa de cette histoire, qui réunit deux filles de 13 ans, Marija (Vesta Matulytė) et Kristina (Ieva Rupeikaitė), qui essaient de se forger une vie meilleure en s’engageant dans une école de mannequinat.

Cineuropa : Le contexte post-industriel dans lequel se déroule Toxic est primordial. Où avez-vous tourné ?
Saulė Bliuvaitė : Nous avons tourné dans ma ville natale [Kaunas]. Nous avons utilisé beaucoup de lieux dans cette zone. C’est la deuxième plus grande ville de Lituanie, mais pendant l'occupation soviétique, c’était un épicentre industriel. Aujourd’hui, il y a beaucoup de bâtiments abandonnés. Mon approche du travail de repérage a été de me contenter de retourner chez moi [rires].

Le film pourrait, d’une certaine manière, se passer n’importe où, mais le fait que ces deux adolescentes vivent ce qu'elles vivent à ce moment-là, dans ce lieu-là, est tout de même important.
Oui, j'ai entendu circuler les mots correspondant à l'étiquette "porno de la pauvreté", mais je trouve cela insultant. Beaucoup de gens vivent encore dans ce genre de circonstances : ces endroits existent, et des adolescentes grandissent là en rêvant d'aller ailleurs. Oui, nous faisons désormais partie de l’Union européenne, et on va bien – il y a dans le monde des tas d'endroits où les conditions sont bien pire. Moins on vit bien, mieux on endure cette souffrance, jusqu'à ce qu'on parte pour se mettre en quête de quelque chose de mieux.

Je suis curieuse de cet âge en particulier – à 13 ans, on est entre l’enfance et le moment où on devient une femme. Était-il important pour vous d’inclure des scènes où les filles jouent à des jeux sportifs dans des ruelles, à côté des classes de mannequinat où elles sont traitées comme des adultes ?
Comme vous l’avez dit, quand on a 13 ans, on n'a toujours pas dit adieu à ses jouets. On joue encore avec ses barbies, même si on fume déjà des cigarettes. C'est un moment de la vie tellement singulier ! Il était important d’intégrer leurs petits matchs, parce que c’est là qu'elles sont heureuses, pas quand elles font les mannequins. Tout vient d’un sentiment de responsabilité : quand les enfants grandissent dans des situations difficiles, ils se mettent à avoir l’impression, très tôt, qu’ils doivent gagner leur vie eux-mêmes, pour leur famille. Pour eux, c’est du travail.

Il y a aussi un contraste net avec les séquences de danse. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont les corps sont montrés lors de ces danses ?
Ce sont mes parties préférées du film ! Je tenais à ce que les personnages aient une gestuelle particulière, parce que le film est connecté au corps. Je tenais à ce que les gens, dans Toxic, se meuvent bizarrement tout le temps, et c’est particulièrement visible dans les danses. J’ai spécifiquement demandé au chorégraphe un style de danse qui ne serait pas trop féminin : je voulais éviter le stéréotype des filles toutes jeunes qui ont déjà l’air sexy ou qui jouent aux femmes. La sexualité n’est pas la partie la plus importante quand on est adolescent. Pour ces personnages en particulier, ce n’est pas le cas, et c’est pour cela qu’elles ont un peu peur d’être tirées vers des situations intimes.

Pouvez-vous parler de la relation entre Marija et Kristina ? Au début, ça se passe assez mal, mais elles ne sont jamais en rivalité l’une avec l’autre. Il y a de l’amitié, de la sororité, de l’amour…
Je n’avais pas d'idée arrêtée au départ, ça s'est développé chemin faisant. Je voulais créer une relation qui passerait de juste amies à quelque chose de vaguement sentimental, sans mettre l’accent sur la sexualité. Nous sommes donc restés dans cette zone, où on n'a pas à étiqueter le lien qui les unit, ce qui ne l'empêche pas d'être profond.

Pensez-vous que vos jeunes comédiennes se sentaient plus vulnérables, ou plus émancipées, en tant qu'elles appartiennent à une génération différente de la nôtre ?
Ça a été très intéressant pour moi parce qu'au début, je voulais situer mon récit dans le passé, et le rapporter à mon histoire personnelle, sauf que quand on a commencé le casting, à force de parler aux filles, je me suis rendu compte que je voulais utiliser leur histoire aussi. Ainsi, Toxic est devenu cet hybride, où l'on voit de vieux bâtiments désaffectés et des gens qui utilisent des smartphones. À vrai dire, ce n'est qu'après deux ans de casting et après avoir fini ce film que j'ai vraiment compris l'esprit de cette génération. Au début, tout dans le scénario était connecté à ce que j'ai vécu, mais certaines choses leur ont vraiment parlé. Certaines choses ont changé, mais d'autres sont restées identiques. Je pensais que les temps avaient complètement changé, mais en écoutant ce que me racontaient les filles, j’ai reconnu beaucoup de traumatismes similaires. Cela dit, d’autres fois, j’ai été frappée par leur témérité.

(Traduit de l'anglais)

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