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VENISE 2024 Biennale College Cinema

Zhanna Ozirna • Réalisatrice de Honeymoon

“Le monde occidental s'est lassé de la guerre beaucoup trop vite”

par 

- VENISE 2024 : La réalisatrice ukrainienne décrit une lune de miel pas comme les autres, car le couple est confiné à un appartement et doit s'assurer que personne ne sait qu'ils sont là

Zhanna Ozirna • Réalisatrice de Honeymoon
(© Fabrizio de Gennaro/Cineuropa)

Taras et Olya (Roman Lutskyi et Ira Nirsha) s'installent dans leur nouvel appartement. Ils ne peuvent peut-être pas s'offrir un voyage exotique, mais ils semblent assez heureux d'entamer ensemble une nouvelle vie. Enfin... jusqu’à ce que la violence qui ravage leur pays se retrouve soudain si proche qu'elle ne peut plus être ignorée : les Russes ont établi leur quartier général dans leur immeuble. Isolés, ils décident de rester dans leur appartement, mais doivent s’assurer que personne ne sache qu’ils sont là. Zhanna Ozirna détaille pour nous son film, Honeymoon [+lire aussi :
critique
interview : Zhanna Ozirna
fiche film
]
. présenté à Venise dans la section Biennale College Cinema.

Cineuropa : Beaucoup de films sur l’Ukraine se concentrent sur ce qui se passe à l’extérieur, sur le front et les ravages de la guerre, mais vous restez à l’intérieur. Pourquoi avez-vous choisi de faire cela ?
Zhanna Ozirna : L'idée m'en est venue dès le début de la guerre. C'est l'histoire d’un ami d’un ami, mais c’est assez habituel pour beaucoup de gens. L'intrigue se fonde sur beaucoup de récits véritables. Les Russes ont installés leurs quartiers généraux dans des immeubles résidentiels, et les gens ont soudain été coincés chez eux. Je les ai interrogés sur les détails de cette situation, sur toutes les émotions qui les ont traversés.

Par ailleurs, l'Agence ukrainienne de soutien au cinéma a gelé les financements pour les films de fiction. Nous ne pouvons plus nous permettre de tourner des films spectaculaires de grande échelle et nous ne pouvons pas accéder à cet argent pour le moment, donc tout le monde cherche d’autres solutions.

Ce couple vient de commencer sa vie ensemble, c’est adorable, mais leur premier appartement devient un piège. Ils sont coincés dans le noir, à écouter le danger à l’extérieur. On dirait un film d’horreur.
Au début du développement, nous avons parlé de ça, et certaines personnes m'ont conseillé de positionner le projet comme un film d’horreur ou un thriller, mais pour moi, un film d’horreur est quelque chose qui vous fait peur avec une histoire fictionnelle, or ce qu'on voit ici, c’est la réalité de beaucoup d'Ukrainiens, même si c’est présenté de manière condensée. Nous vivons à côté des tueurs, et nous ne pouvons pas leur échapper. Nous espérons que la Russie va s’écrouler un jour, mais d'ici là, c’est comme ça qu’on va continuer de se sentir, tous les jours.

Il y a toutefois de l’espoir, puisqu'il y a de l’amour. Pensez-vous que c’est important de montrer qu’un couple comme celui-ci peut survivre à un cauchemar ?
On perd constamment des amis, même les citoyens ordinaires, et pourtant une quantité de gens que je connais décident soudainement de se marier, ou même d’avoir un enfant, bien que les missiles volent au-dessus de leur tête tous les jours. Aujourd’hui aussi je me suis réveillée au son d'une alerte au bombardement aérien, parce que même si je suis en voyage, je n’ai pas éteint les notifications. On ne peut jamais savoir quand son partenaire sera mobilisé, donc c’est un phénomène intéressant. C’est comme s'il y avait tout cet espoir par rapport à l'avenir et à notre victoire. Nous réévaluons continuellement nos priorités depuis le début de la guerre. Qu’est-ce qui est vraiment important ? Ce serait vraiment dur à vivre sans aucun soutien émotionnel.

Ce couple n’est pas un couple de combattants : ils ne sont pas armés pour affronter cela, mais ils doivent tout de même faire de leur mieux.
C’est une question de survie : on ne peut pas se disputer quand on essaie de survivre. Je ne voulais pas exagérer quoi que ce soit ou créer une sorte de faux drame entre eux. Du reste, le film ne parle pas vraiment de leur relation, mais de l’idée d’être coincé dans un entre-deux. On ne peut pas planifier son futur, parce qu’on ne sait pas ce qui va se passer le lendemain. On vit quelque part au milieu, moi comprise. Personne ne planifie de rendez-vous un mois en avance, parce qu’on ne sait même pas si la ville où on habite sera encore là. Taras est impuissant, ce qui est la plus grande peur de beaucoup d’hommes. Tout ce qu’il peut faire, c'est parler – c’était d'ailleurs son travail, avant. Elle, elle est fragile. Ce qui m'intéressait, c'était leurs peurs intérieures. La mienne serait d’être violée, par exemple, parce que nous savons tous à quel point les Russes sont brutaux.

Est-ce que les festivals sont moins intéressés par les films sur le conflit en ce moment ? Sentez-vous la pression, vous les cinéastes, de trouver de nouvelles manières de le montrer ?
C’est une guerre, pas un conflit. Il y avait cette blague qui tournait, qui disait que si c’était le cas, on appellerait la Seconde Guerre mondiale le "conflit polonais". J’ai eu, récemment, une conversation avec un programmateur de festival qui m’a dit qu’il était "content" que le film parle d’une relation et non pas de la guerre. Je lui ai dit que je me sentais frustrée à chaque fois que j’entends cette phrase, et je l’entends beaucoup récemment. Je pense que le monde occidental s’est lassé beaucoup trop tôt de la guerre.

(Traduit de l'anglais)

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