Guillaume Senez • Réalisateur de Une part manquante
"Je voulais aller vers quelque chose de plus lyrique, trouver un peu plus d’ampleur"
par Aurore Engelen
- Le cinéaste belge revient sur son nouveau film, où il continue d’explorer son thème de prédilection, la parentalité, tout en déterritorialisant son cinéma, l’emmenant au Japon
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fiche film], le réalisateur belge Guillaume Senez retrouve son comédien fétiche Romain Duris dans Une part manquante [+lire aussi :
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fiche film], et continue d’explorer son thème de prédilection la parentalité, tout en déterritorialisant son cinéma, l’emmenant au Japon, et lui offrant une dimension lyrique qu’il n’avait pas encore explorée. Le cinéaste revient pour nous sur ce nouveau film, présenté au Festival de Toronto dans la section Centrepiece.
Cineuropa : Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?
Guillaume Senez : Je n’ai jamais eu le fantasme de faire un film au Japon. On y a sorti Nos batailles, et nous sommes allés le présenter avec Romain. On commençait à réfléchir à faire un autre film ensemble. Et puis des Français nous ont parlé de la situation de la garde des enfants en cas de divorce. Il y avait comme une évidence, cette histoire nous avait bouleversés, tous les deux.
C’est une historie de parentalité, mais c’est aussi une histoire d’immigration ?
Ce qui m’intéressait, c’est l’idée de raconter l’histoire d’un étranger qui va dans un pays plus riche que le sien, avec une autre langue, une autre religion, une autre culture. Il y a le sujet du film, la garde des enfants au Japon après une séparation, et puis il y a le thème. Là soudain, c’était le Français qui était dans cette situation, alors que l’on voit souvent des films qui tissent ce genre de récit avec des Africains, des Sud-américains ou des gens de l’Est. J’ai le sentiment que parfois, ces films nous prennent beaucoup par la main pour nous montrer que ce n’est pas bien. Et je me suis dit qu’il y avait peut-être moyen de faire autrement, de parler de ces situations en les rapprochant d’un spectateur qui me ressemble, avec un protagoniste proche de ma situation ou de celle du spectateur. La même chose, mais autrement, créer une sorte de renversement.
Ancien chef cuisinier, il devient chauffeur de taxi pour sillonner la ville dans l’espoir de retrouver sa fille.
Ce qu’on aimait avec ce métier de chauffeur de taxi, c’est qu’il est inscrit dans un truc tellement prenant que Jay n’a pas d’espace pour autre chose. Il y a un truc un peu monacal. Jay vit seul chez lui, dans un environnement dépouillé. L’une de nos grandes inspirations, c’était Le Samouraï de Jean-Pierre Melville, pour la musique, le découpage, mais aussi au niveau du scénario, la détermination du personnage. Sa propension à aller droit dans le mur en en étant conscient. Ce sont des codes que l’on a repris avec plaisir, l’appartement vide de Jef Costello, l’animal de compagnie exotique.
Jay est dans une retenue absolue, il garde tout à l’intérieur.
Cette retenue, c’est quelque chose de très japonais. Le personnage de Jessica, joué par Judith Chemla, arrive un peu comme Jay était il y a 10 ans, ancrée dans sa culture occidentale, à dire frontalement les choses, à s’énerver, à crier. Mais elle va finalement l’influencer, l’inspirer à lâcher prise. Avec elle, il redevient un peu français.
Elle lui fait prendre conscience de l’impasse dans laquelle il se trouve.
C’est un peu toujours la même chose dans mes films (rires), on a un personnage masculin un peu borderline, limite agaçant, à qui j’essaie d’insuffler un peu d’humanité. Et ce personnage est toujours entouré de personnages féminins qui le font grandir, évoluer. Ici on a son avocate Michiko qui lui conseille d’y aller doucement, quand Jessica lui dit l’inverse, il est un peu perdu, tiraillé entre les deux.
Comment aviez-vous envie de filmer le Japon ?
C’est peut-être une chance, mais comme je l’ai dit, je ne suis pas amoureux du Japon. Je ne voulais pas filmer le Japon comme une carte postale, mais comme les Japonais le voit, c’est comme ça que Jay le vit. Il ne fallait pas l’exotiser. La règle, c’était "pas de Mont Fuji ". Et trouver un sento, des bains publics japonais sans Mont Fuji, c’est très compliqué ! Pour que tout ça soit possible, il était très important pour moi de travailler avec un chef décorateur japonais.
Quel était le plus grand défi pour vous ?
C’est tellement différent de faire un film au Japon. Une grande partie de l’équipe était japonaise, il a fallu trouver un terrain d’entente entre leur façon de faire et la nôtre. Et puis j’avais envie de franchir une étape. Ça reste mon cinéma, ma façon de faire, mais je voulais un film un peu plus ambitieux, dans un autre pays, une autre langue, aller vers quelque chose de plus lyrique peut-être. Trouver un peu plus d’ampleur. D’ailleurs pour la première fois, j’ai travaillé avec un compositeur. Avant, je voyais la musique comme une sorte de béquille pour créer l’émotion, comme si je n’avais pas fait mon boulot de scénariste ou de directeur d’acteur. Mais il y a quelque chose de très sensoriel avec l’image et la musique. Pour un cinéaste qui recherche l’émotion, je me suis dit qu’il était temps d’utiliser tous les outils à ma disposition.
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