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SAN SEBASTIAN 2024 Compétition

Laura Carreira • Réalisatrice de On Falling

“Ça me paraissait important de montrer que même le temps libre n’est pas vraiment libre”

par 

- La réalisatrice portugaise explique comment elle a procédé pour nous mettre, dans son remarquable premier long-métrage, dans la tête d’une préparatrice de commande en entrepôt

Laura Carreira • Réalisatrice de On Falling
(© Dario Caruso/Cineuropa)

Peu d'endroits exemplifient mieux la manière dont se chevauchent précarité sociale et précarité financière qu’un entrepôt de e-commerce. Dans On Falling [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Laura Carreira
fiche film
]
, une immigrée portugaise, Aurora (Joana Santos), arrive à peine à joindre les deux bouts de semaine en semaine, quelque part en Écosse. Avec son premier long-métrage, la réalisatrice Laura Carreira se fabrique une carte de visite remarquable pour une célébrité future, Nous l’avons interrogée après la projection de son film dans la section Discovery du Festival de Toronto et avant sa projection en compétition au Festival de San Sebastian.

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Cineuropa : Qu'est-ce qui vous a amenée à décider de raconter cette histoire en particulier, sur le travail et la précarité, à travers les yeux d’une femme ?
Laura Carreira : C’est probablement parce que c’est ma perspective. Mes premières années en Écosse m'ont beucoup marquée, en particulier la période de mon premier emploi. La manière dont je voyais le monde en est sortie changée. Je pense qu'encore maintenant, faire des films est une manière pour moi de digérer cette époque. Après, je suppose que quand j’ai commencé à faire des recherches sur le secteur de la distribution, où l'insécurité de l'emploi, je me suis rendu compte du nombre de nouveaux travailleurs qui se retrouvent là : les immigrés, les réfugiés, les demandeurs d’asile. De fait, ça m'a paru intéressant d'aborder ce genre d'emploi à travers le regard d'une immigrée, parce que c’est une expérience à laquelle je pouvais me rapporter.

Mon premier emploi, en arrivant dans un nouveau pays, était dans l’hospitalité, pas dans un entrepôt, mais c'était tout de même très aliénant. Dans On Falling, il n’y a que des espaces de transition qui font l'effet de non-espaces : des entrepôts, des logements pour immigrés, où tout est nécessairement provisoire et où manque un sentiment d’appartenance. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces sujets et la manière dont ils se sont retrouvés dans votre scénario ?
J’ai interviewé beaucoup de gens qui ont travaillé comme préparateurs de commande en entrepôt, pour comprendre leur quotidien. Un sujet récurrent était la difficulté de nouer des liens, à l'extérieur comme sur le lieu de travail. Ils connaissaient des gens, comme ça, mais n’avaient pas assez de temps pour vraiment apprendre à les connaître. Peut-être qu’une partie de la souffrance qu’on ressent aujourd’hui vient du fait que nous ne nous ménageons pas (ou n'arrivons pas à le faire) assez de moments dédiés à nous occuper les uns des autres, à remplir nos vies différemment.

Quand vous écrivez et que vous tournez, comment trouvez-vous l’équilibre entre la réserve émotionnelle et la nécessité de susciter de l’empathie ?
Une très grande partie du film tient aux non-dits qui bouillent sous la surface. Par exemple, dans toutes les conversations qu'a Aurora, je voulais me concentrer sur le fait que ce sont des échanges de banalités, parce que la manière dont on les perçoit en révèle beaucoup sur vous, si on n'arrive pas à établir de connexion avec quelqu’un d’autre. C’est vraiment difficile de se lancer dans une conversation en cinq minutes, du moins une conversation suffisamment signifiante pour qu'on puisse appeler l’autre personne un(e) ami(e). Aurora est un quelqu'un de très timide, et elle a une sorte d’angoisse de la performance dans ses interactions. Je pense que c’est parce que ces conversations quotidiennes avec des gens sont si importantes qu’elle se paralyse. Donc il me paraissait important de montrer que même le temps libre n’est pas vraiment libre.

Comment avez-vous travaillé avec votre actrice principale, Joana Santos ?
Avec Joana, notre travail a principalement consisté à créer ce sentiment d'inconfort et d'intensité qui fait que même quelque chose d’aussi banal que des conversations sans intérêt fasse exalté. On voit bien qu'elle a tellement envie d'établir le contact avec d’autres personnes et d'être avec d’autres gens que même quand elle en a l’occasion, d'un coup, elle est paralysée. Je pense que c’était ma manière d’essayer de décrire la solitude de manière sensorielle.

Parce que le film adopte un point de vue subjectif, On Falling est intense à regarder, mais aussi subtil. Le subtilité est-elle importante pour vous, comme manière d’exprimer ou de créer des résonances émotionnelles ?
Oui, et je pense que ça vient aussi du point de vue de l’héroïne. J’ai remarqué que, peut-être un peu comme Aurora, je suis du genre hypervigilante dans ma propre vie. Ça me permet de remarquer des choses que je trouve pertinentes (peut-être suis-je la seule), qui rendent compte d’une certaine perspective. Le cinéma permet à cette perspective de s'exprimer, donc pour moi, c’était intéressant de mettre ces éléments dans un film. Par exemple, une grande partie des dialogues que j’ai eus avec les préparateurs de commande pendant mes recherches ont guidé certains des dialogues. La réplique sur la lessive est une phrase que quelqu’un m’a dite, et que j'ai reprise telle quelle, quand j'ai demandé à cette personne ce qu'elle faisait en dehors du travail. La personne a eu du mal à répondre, puis m'a finalement dit : "Je fais principalement la lessive". J'ai trouvé ça très révélateur. Ensuite, bien sûr, il y a mon expérience et mon point de vue d'immigrée. Quand on arrive dans un endroit qu’on ne connaît pas, on est plus susceptible de regarder autour de soi et d’essayer de comprendre le monde qui vous entoure.

(Traduit de l'anglais)

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