Lenny et Harpo Guit • Réalisateurs de Aimer perdre
"On voulait créer une anti-héroïne que l’on aime malgré les sales coups qu’elle fait à tout le monde"
par Aurore Engelen
- Le duo de réalisateurs belges nous parle sur leur deuxième long, sur une jeunesse qui lutte pour garder la tête haute et les yeux rieurs malgré la précarité
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fiche film], présenté en compétition au Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF), deuxième long où leur cinéma, sans s’être vraiment assagi, s’ouvre à une héroïne surprenante, une loseuse magnifique et joueuse compulsive qui nous entraine à sa suite dans les rues de Bruxelles, figure de proue d’une jeunesse qui lutte pour garder la tête haute et les yeux rieurs malgré la précarité.
Cineuropa : Quelles sont les origines du projet ?
Lenny Guit : Après Fils de plouc, on a pris le temps avec Harpo de se demander ce qu’on avait envie de raconter. On savait qu’il y avait des sujets qui nous plaisaient, comme parler de débrouillardise, de petites magouilles. On a imaginé plein de scènes, de petites situations, et sur cette base, on a essayé de penser une histoire. On a taillé dans la matière, identifié des personnages. Jusqu’à dessiner le portrait d’Armande, cette jeune femme qui galère dans Bruxelles, il nous semblait que c’était un personnage que l’on avait peu vu dans le cinéma francophone. On était je crois assez inspiré par des films américains, qui mettaient en scène qui héroïnes un peu perdues qui arpentaient les rues de New York. On aimait bien l’idée de s’inscrire, même de loin, dans cette lignée.
Quelles étaient vos inspirations justement ?
L.G. : On a beaucoup regardé de vieux films américaines, Smithereens de Susan Seidelman ou Girlfriends de Claudia Weill, des films autour de anti-héros féminins qui galèrent dans la ville, comme Frances Ha de Noah Baumbach aussi, c’était un peu des phares, des femmes très entourées et en même temps très seules, mais qui trouvent toujours une forme de légèreté dans la galère. Et puis quand on a découvert le cinéma des frères Safdie, on a été très inspirés par son côté ultra-nerveux, une façon hyper speed de faire progresser le récit, où on n’a pas le temps de se poser, tout en étant drôle.
C’est amusant de se confronter à cette altérité ultime pour vous, une héroïne ?
Harpo Guit : C’est peut-être ça justement qui crée le contraste. On aime bien en général les personnages de anti-héros, on leur permet d’être un peu dégueulasses, de mal se comporter avec les autres, et on leur pardonne quand même. On voulait créer un pendant féminin, une anti-héroïne que l’on aime malgré les sales coups qu’elle fait à tout le monde, qui reste une fille hyper cool. La personne avec laquelle t’as envie d’être pote. Et puis il y avait l’idée de déconstruire l’injonction à être belle que l’on peut imposer aux femmes, aux actrices en particulier, et ça correspond au discours politique que porte Maria Cavalier Bazan en tant que féministe et comédienne.
L.G. : Quand elle a vu Fils de plouc, elle nous a dit : "C’est bien, mais c’est dommage que ce soit pas des femmes". On l’a prise au mot.
Pouvez-vous parler de Maria Cavalier Bazan justement, qui incarne Armande ?
L.G. : On ne voyait pas parmi nos connaissances comédiennes qui pourrait incarner Armande. On a donc entamé un processus assez classique de casting, on a rencontré beaucoup de personnes, et quand on a vu Maria, il y a tout de suite eu une résonance.
H.G. : Aujourd’hui on ne voit pas comment ça aurait pu être quelqu’un d’autre. Quand on a compris que pour nous, Armande, c’était Maria, on ne lui a pas dit : "Tu es prise", on lui a dit : "Est-ce que tu serais d’accord pour être Armande, qu’est-ce qui te plait dans le personnage, comment tu le vois ?" On a composé avec elle pour faire surgir le personnage. D’autant qu'il était crucial pour nous d’avoir un regard féminin sur ce personnage.
Armande est caractérisée par son amour du jeu, et on a le sentiment que c’est peut-être parce qu’elle est à un moment ou un endroit de sa vie où elle n’a rien à perdre. D’où vient l’idée du jeu comme fil conducteur ?
H.G. : On a toujours eu un fantasme du jeu. On n’est pas addict, mais on a le goût de ça, on aime l’adrénaline, la petite étincelle quand on commence à jouer. Pour Armande, c’est comme si Bruxelles était un grand plateau de jeu, où tout est matière à jeu, un endroit où s’amuser.
L.G. : Et puis on aime le côté spirale sombre, ces personnages de joueurs s’enfoncent souvent, et pourtant, ils gardent toujours l’espoir que quelque chose de bien peut arriver. Ils portent une contradiction interne qui amène une sorte de magie à leur personnage.
Vous aimez bien montrer les petites choses triviales du quotidien, un peu sales, un peu moches, des cheveux dans la bonde d’une baignoire, des fluides corporels.
H.G. : Ce sont des petites choses qui nous amusent, nous on aime que le cinéma fasse réagir, de façon presque corporelle, qu’il fasse rire, qu’il fasse peur. On aime bien que les gens fassent : "beurk", "ahhhh". Ça crée un lien immédiat avec le public.
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