Stefan Liberski • Réalisateur de L’art d’être heureux
"Je trouve toujours ça plus intéressant quand la comédie est justement au bord du gouffre"
par Aurore Engelen
- Le cinéaste et écrivain belge nous parle son nouveau film, le portrait drôle mais mélancolique d’un artiste qui a perdu le sens de la réalité
On a rencontré le cinéaste et écrivain belge Stefan Liberski à l’occasion de la sortie en Belgique avec O’Brother de son nouveau film, la comédie L’Art d’être heureux [+lire aussi :
critique
interview : Stefan Liberski
fiche film], qui dresse le portrait drôle mais mélancolique d’un artiste qui a perdu le sens de la réalité, Jean-Yves Machond, incarné avec conviction par Benoît Poelvoorde. Egaré dans sa vision toute théorique de l’art et de la vie, il s’est éloigné du monde des sensations et des sentiments, et va tenter, à travers un retour aux sources de la peinture, de changer le cours de son existence.
Cineuropa : Est-ce que vous pouvez nous parler de L'art d'être heureux en quelques mots ?
Stefan Liberski : L'art d'être heureux, je crois que c'est surtout un personnage, celui de Jean-Yves Machond, qui est interprété par Benoît Poelvoorde. C’est la quête d'un homme qui est perdu dans le concept, perdu dans l'irréalité et qui fait son chemin vers l’inspiration et le bonheur. Il a été un artiste conceptuel reconnu, qui exposait des salles vides. Puis il a été professeur. Mais quand débute le film, il cherche autre chose. Il part en Normandie pour essayer de se laisser porter par le territoire des impressionnistes, la beauté du monde. Mais comme à chaque fois avec lui, ça reste du domaine de l’idée plus qu’autre chose, et c’est tout le ressort de la comédie.
Est-ce qu'on peut dire qu'il a été tellement dans le concept qu'il a perdu contact avec la vraie vie et que son escapade va lui faire retrouver à la fois ses sensations et ses sentiments ?
Oui, je crois que c'est ce qu'il recherche. Il a été, il est enfermé dans ses idées toutes faites, et il en souffre. Il a une histoire familiale difficile aussi, mais il est à un moment de sa vie où il essaie de s'en sortir. Mais il s’échappe d'une idée pour entrer dans une autre idée. Ça a l’air un peu pathologique quand je le dis, mais c'est ça qui fait que c'est drôle aussi, d’autant qu’il y a de nombreux malentendus dans ses interactions avec les gens qu'il rencontre. L'inspiration ne vient pas, alors il va se mélanger avec des gens du cru, les petits peintres du coin. Cette aventure normande va aussi pour lui être l'occasion de reprendre contact avec son corps, à travers l'amour, à travers le geste de peindre qu'il avait un petit peu oublié.
Pour incarner Machond, il fallait un acteur qui en a la carrure.
Benoît Poelvoorde est là depuis le début de ce projet, qui inspiré d’un livre écrit par Jean-Philippe Delhomme, avec lequel nous sommes tous deux amis. On a beaucoup parlé avec Benoît, tout au long de l’écriture, la discussion a continué sur le tournage, ça se transformait encore. C’est une vraie collaboration. J’avais un peu peur que ce personnage, perdu dans le concept manque de tendresse, et Benoît lui a apporté une grande d’humanité. Quoiqu'il joue, il y a une énorme générosité.
Il y a un personnage assez inattendu, c’est la maison dans laquelle Machond s’installe, une sorte d'ovni posé dans le paysage normand.
Forcément, il n'allait pas choisi n'importe quelle maison pour son exil. Il a jeté son dévolu sur une maison d'un architecte des années 70, un architecte anarcho-utopiste, une de ces maisons bulles, ou soucoupes. Des ruines qui sont à peu près inhabitables, mais qui sont des concepts de nouveau. Ca a été très drôle pour nous de fabriquer cette maison.
Le personnage de Machond est au bord du gouffre, et pourtant, le film est quand même une comédie. Est-ce que vous pouvez nous parler du ton du film ?
Je trouve toujours ça plus intéressant quand la comédie est justement au bord du gouffre. Il se joue quelque chose d'important pour Machond, et comme il se trompe tout le temps, ça crée des situations comiques. Sa manière de voir les choses tout en concept c’est aussi une forme de résistance, un refus de s’ouvrir au monde. C'est un film sur le déni de réalité en fait, cela me semble particulièrement intéressant à explorer parce que c'est quelque chose dont beaucoup de gens souffrent aujourd'hui, je pense. On a un monde perclus d’idéologies, avec des combats, des idées, une petite dialectique pas très subtile. Mais il faut de temps en temps faire un écart pour voir la réalité. Donc cette comédie est aussi une invitation à plus de réalité.