Sacha Amaral • Réalisateur de El placer es mío
“J'ai toujours eu en tête un personnage ambigu qui ne connaît pas le sens de son parcours, mais veut quelque chose”
par Savina Petkova
- Le réalisateur brésilien installé à Buenos Aires nous parle des désirs et motivations de son énigmatique héros de 20 ans

Antonio (Max Suen) a 20 ans et il est mu par ses désirs. L’argent, le sexe et l’intimité l’entraînent dans toutes sortes de directions imprévisibles dans les rues de Buenos Aires. Tel est le turbulent héros du premier long-métrage du Brésilien Sacha Amaral, El placer es mío [+lire aussi :
critique
interview : Sacha Amaral
fiche film]. À l’occasion du Festival du film de Gijón, le réalisateur a expliqué pour Cineuropa ce que signifie avoir le plaisir comme moteur principal pour un personnage.
Cineuropa : Pour votre premier long-métrage, vous avez décidé de diviser l'histoire en plusieurs pans au moyen de coupes vers un écran noir accompagné d'enregistrements vocaux. Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer cette texture, et cette énigme ?
Sacha Amaral : Even though El placer es mío est mon premier film, j’ai eu la chance de pouvoir me faire plaisir, d'exécuter sans dévier ce que je voulais faire. À la post-production, certains retours qu'on m'a faits questionnaient les coupes vers écran noir, mais elles ont toujours été dans le film, depuis le stade du scénario. À vrai dire, elles m’ont aidé dans l'écriture de l'histoire, car c'était merveilleux de couper au lieu de dispenser des informations. Cela m’a aussi aidé en termes de structure temporelle : en tant que spectateur, on comprend que quelque chose est arrivé, sans savoir exactement quoi.
Nous passons tout notre temps avec Antonio. Nous apprenons à le connaître comme personnage, mais beaucoup de ses facettes restent cachées, pour lui-même comme pour le public. Ces espaces vides du récit sont-ils liés à son inconnaissabilité.
C’est tout à fait ça : elles constituent une manière de connaître Antonio à travers le regard des autres. C’est le genre de personnage qui ne pense pas aux conséquences de ses actes, mais nous pouvons apprendre à le connaître à travers eux.
Comment avez-vous abordé l’écriture d’un personnage dont l'élan profond est aussi abstrait ? Le définiriez-vous comme du désir pur, encore sans objectif ?
Ce film se consacre à explorer la notion de plaisir de différentes manières, mais par exemple, il y a des petits plaisirs qui peuvent vous mettre en danger ou dans des situations limites. Pas nécessairement, mais ça peut procurer un certain plaisir. J’ai depuis toujours à l’esprit un personnage ambigu qui ne connaît pas le sens de son parcours, mais qui veut ardemment quelque chose. Cette position désirante est énigmatique. Sincèrement, je ne pense pas qu’il ne sache pas ce qu’il veut : ce n'est juste pas très clair. Il se voit comme quelqu’un qui est incapable de tomber amoureux.
Il y a par ailleurs cette constellation de personnages qui tournent autour de lui. Comment les avez-vous imaginés ?
Il y a une autre façon pour nous d'apprendre à connaître Antonio, et j’aime cette idée de constellation, parce qu'il était important d'enclencher un dialogue sur la manière dont nous rapportons les uns aux autres aujourd'hui. Comment donnons-nous et recevons-nous de l’affection ? L'idée que se fait Antonio du plaisir est profondément associée à l’égoïsme : pour recevoir du plaisir, il faut être égoïste. Je pense que ce personnage fait partie de ce qui se passe en ce moment, particulièrement en Argentine, mais le propos a quelque chose de sentimental et touche à des sujets plus vastes liés à l’intimité.
J’aime bien le fait que vous utilisiez le mot "sentimental", car c’est comme ça que je décrirais votre cinéma : libidineux et sentimental. Pourquoi aimez-vous commencer les scènes in medias res ?
Ma grande peur, en tant que scénariste, est de livrer trop d’informations. J'invente des histoires avec plusieurs strates de sens qui impliquent beaucoup de choses, donc je crois que c’est pour ça. Je reconnais que les personnages parlent peut-être trop [rires], mais c’était nécessaire pour ce qu’on faisait ici. D'un autre côté, parfois, les personnages essaient de dire une chose qu’ils n'arrivent pas à exprimer, c'est en partie du fait de l'impossibilité de la communication.
Comment avez-vous travaillé avec votre acteur principal pour obtenir de lui une interprétation aussi viscérale malgré le fait qu’il n’est pas fiable dans ses paroles ? Il fallait qu'il incarne le sujet de tout le film.
C’était un énorme défi ! Je travaillais déjà avec des acteurs qui sont des amis, mais je ne connaissais personne de 19 ou 20 ans, pour ce rôle. Max a fait beaucoup de pièces, mais c’est son premier long-métrage. Nous avons beaucoup répété, presque un an, et nous avons développé en chemin un lien très fort. J’avais besoin d’un acteur qui pourrait compléter le personnage écrit. J’espère que c’est pour lui le début d’une merveilleuse carrière.
(Traduit de l'anglais)
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