Frédéric Boyer • Directeur artistique, Les Arcs Film Festival
"Tout le monde parie maintenant sur des films accrocheurs qui peuvent rapporter beaucoup dans le milieu du cinéma d’auteur"
par Fabien Lemercier
- Le sélectionneur des Arcs Film Festival décrypte le Work in Progress qui se déroulera le 15 décembre et donne son point de vue sur la conjoncture pour le cinéma d’auteur européen

À la veille du démarrage du 16e Les Arcs Film Festival (lire l’article) et de son Industry Village qui inclut notamment le toujours très attendu Work in Progress (WiP) avec cette année 13 films au menu (news), rencontre avec le directeur artistique du festival, Frédéric Boyer (également en poste à Tribeca et à Reykjavik).
Cineuropa : Huit premiers longs et un second long figurent parmi les 13 titres du Work in Progress. Cet axe vers les jeunes cinéastes est-il un choix éditorial ?
Frédéric Boyer : Il y a toujours une alliance entre la qualité du film et la compatibilité avec ce que nous voulons. Si l’on peut donner une chance à de jeunes cinéastes, avec des premiers films, des premières visions et une part aussi d’émotion car ils ne sont pas habitués à être démarchés et ils sont souvent surpris par leur sélection, c’est tant mieux.
Comment s’est déroulé le processus de sélection ?
Nous avons reçu 150 films. Nous éliminons d’emblée les films ayant un générique, des films finis en juin, car ils ont généralement déjà tourné chez les agents de ventes. Nous essayons au maximum de prendre des films tournés pendant l’été ou parfois même un peu plus tard, afin de donner plus de secret à la sélection. Et évidemment, le sceau de la confidentialité est hyper important et les sélectionnés s‘engagent à ne pas contacter les vendeurs avant les Arcs. Ceci étant, les agents de vente sont d’excellents professionnels, donc ils ont souvent entendu parler de la grande majorité des projets, mais ils n’ont pas encore vu d’images. Tout cela apporte un peu d’excitation et de tension à la matinée du WiP. Même si nous essayons de préserver une atmosphère relax et festive, beaucoup de professionnels sont présents et cela doit rester un moment unique qui donne l’opportunité d’avoir un premier "feedback" sur le film et de susciter de l’intérêt.
Cette année, notre sélection inclut des films très "auteur" et, davantage que les années précédentes, des films plus commerciaux, ayant un potentiel de ventes évident. Par ailleurs, nous ne choisissons pas sur la base de quota par pays. La preuve, nous avons cette année deux titres hollandais et deux norvégiens. Nous sommes également très contents avec l’équipe de sélection du WiP (qui inclut Lison Hervé et Jérémy Zelnik) de présenter seulement deux "coming of age" cette année car nous en recevons énormément, mais nous ne pouvons quand même pas composer une sélection pour moitié de films de ce genre ! Il faut des films différents et nous avons insisté en ce sens cette année avec une sélection très diversifiée. Mais le processus de sélection reste très subjectif et nous aimons faire confiance à notre première impression. Une fois que nous avons sélectionné, il faut trouver, en échangeant avec les équipes des films (qui ont le final cut), le bon format à présenter.
Les vendeurs internationaux et les sélectionneurs de grands festivals qui viennent nombreux aux Arcs cherchent-ils le même type de films ?
Pas forcément. Chaque grand festival a une ligne éditoriale différente : la Quinzaine des Cinéastes ne cherche pas la même chose que Karlovy Vary ou que la Semaine de la Critique de Venise. Pour les vendeurs, la personnalité des porteurs de projet, du producteur et surtout du réalisateur, joue aussi beaucoup : comment ils envisagent le film, quels sont les éléments de marketing possibles, quelle est la capacité du cinéaste à promouvoir son film, etc.
Certains films d’auteur européens connaissent de très grands succès internationaux, mais la bipolarisation s‘est aussi accrue avec de plus en plus d’échecs en salles pour beaucoup d’autres titres. Quelle est votre analyse de cette tendance ?
On ne peut pas nier que l’effet Cannes est extraordinaire. Quand on voit le succès de L’histoire de Souleymane [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Boris Lojkine
fiche film] de Boris Lojkine, il est évident que cela aurait sans doute été un peu plus difficile sans sa présentation à Un Certain Regard. Les grands festivals comptent beaucoup dans la réussite des films avec des répercussions énormes sur les ventes. Mais les vendeurs repèrent aussi des films dont ils savent qu’ils ne feront peut-être pas de grands festivals, mais qu’ils estiment néanmoins pouvoir être très bien vendus, et il y a régulièrement des exemples de ce type. Et pour un jeune cinéaste, avoir un film populaire qui intéresse le marché et les programmes du circuit des festivals, c’est notamment la garantie de pouvoir faire un second long. Ceci étant, il faut reconnaître que la distribution des films d’auteur européens en salles est difficile, y compris en France. Il y a une dimension de pari, une quête de films qui se démarquent et qui soient potentiellement capables d’attirer un public un peu plus jeune. Ensuite, il y a l’art de la distribution, quand et comment sortir les films, les promouvoir. Les bons distributeurs arrivent à tirer leur épingle du jeu, mais la situation générale est effectivement tendue.
Percevez-vous des indices d’une évolution ?
Les agents américains comme William Morris et CAA s’intéressent maintenant à notre WiP, ils se renseignent pour savoir qui est tel cinéaste, telle actrice, tel acteur, etc. Ce n’était pas le cas à nos débuts, et c’est évidemment un motif de satisfaction. Ils s’intéressent aux projets du WiP, mais aussi aux cinéastes pour savoir quel seront leurs prochains projets. Car tout le monde parie maintenant sur des films accrocheurs qui peuvent rapporter beaucoup dans le milieu du cinéma d’auteur. C’est ce qu’a fait merveilleusement A24, au début en tout cas, avec des films très auteur, très personnels, et des cinéastes à faire monter. Au bout du compte, ils ont eu raison. Cela a provoqué un changement dans la façon de penser des Américains, aussi bien chez les indépendants que du côté des studios.
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