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Suède / France

Tarik Saleh • Réalisateur

"C’est notre devoir de revaloriser le cinéma"

par 

- Rencontre à Paris avec le réalisateur de Le Caire Confidentiel et La Conspiration du Caire, membre du jury des cinéastes de MyFrenchFilmFestival

Tarik Saleh • Réalisateur
(© Kim Svensson)

Révélé en 2009 à la Semaine de la Critique à Venise avec Metropia [+lire aussi :
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, Grand Prix au Festival de Sundance 2017 avec Le Caire Confidentiel [+lire aussi :
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interview : Tarik Saleh
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, prix du meilleur scénario à Cannes en 2022 pour La Conspiration du Caire [+lire aussi :
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interview : Tarik Saleh
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, le cinéaste suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh est actuellement à Paris en tant que membre du jury des cinéastes du 15e MyFrenchFilmFestival (lire l’article) et pour finaliser le montage de son prochain film, Les Aigles de la République.

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Cineuropa : Vous avez accepté d’être membre du jury de MyFrenchFilmFestival, un événement en ligne. Quelle est votre opinion sur la manière dont les films doivent être vus ?
Tarik Saleh
 : Je suis un fanatique de cinéma, donc pour moi, les films doivent bien sûr être vus de préférence en salles. Regarder un film sur son ordinateur, pouvoir mettre pause et redémarrer, c’est complètement différent. Fellini disait d’ailleurs que la télécommande était une invention fasciste parce qu’elle donne le contrôle au spectateur et je suis assez d’accord en tant que cinéaste car je veux aussi le contrôle complet de mes films. Mais je pense également que le cinéma se trouve maintenant dans une position existentielle où il est d’abord important de valoriser le fait que des gens font des films et non des séries. C’est notre devoir de revaloriser le cinéma, surtout quand on sait quelle somme de travail représente la fabrication d’un film, qu’il soit réussi ou raté.

J’ai également accepté de faire partie de ce jury car je trouve cela très intéressant de voir uniquement des films français, et pas ceux qui ont déjà fait les gros titres, qui ont gagné à Cannes ou ailleurs. En un sens, c’est une façon de regarder à l’intérieur d’un pays. En voyant tous les films de MyFrenchFilmFestival, on peut prendre la température de la conjoncture en France, savoir ce que les gens ont en tête actuellement. C’est fascinant car je ne connais pas la France, ce qui est un peu paradoxal car mes films ont du succès ici, ce que je ne m’explique pas très clairement d’ailleurs. Mais quand je regarde les films de cette sélection, je comprends quelque chose de ce pays, je découvre les luttes et les conflits actuels qui s’y déroulent et c’est passionnant.

Pensez-vous que la diffusion en ligne du cinéma peut réattirer un public plus jeune vers le 7e art ?
Je n’en suis pas sûr. Je ne suis pas un avocat du numérique. Les techniques et la distribution, c’est le territoire de ceux qui font du business et qui s’excitent toujours sur les nouveaux moyens de diffusion. Le cinéma a été déclaré mort depuis l’invention de la télévision, mais regardez où nous en sommes : le cinéma existe toujours et c’est la télévision qui est morte. La VHS était aussi censée tuer le cinéma : la VHS est morte, le cinéma vit encore. Et c’est pareil pour le DVD, le Blu-ray. Les différentes formes de distribution, c’est juste bon pour les corporations qui peuvent vendre encore davantage. Et elles n’ont a même plus besoin de passer par une usine maintenant, on peut distribuer via un signal jusqu’aux foyers des populations. Donc Netflix déclare bien sûr que le cinéma est mort et qu’il est le seul endroit où l’on peut voir du cinéma. Mais ce n’est pas vrai et ils ont été terrorisés quand ils ont constaté que des cinéastes comme James Cameron ou Christopher Nolan faisaient toujours des films et qu’une foule de gens allaient les voir en salles. C’est aussi le cas, à mon échelle, avec mes propres films. Évidemment, parfois, comme j’ai des enfants assez petits, quand ils dorment, je regarde des films à la maison sur un petit écran. Mais quand un film est très bon, il transcende la taille de l’écran. J’ai d’ailleurs vu pour la première fois Le Parrain 2, qui est dans le top 3 de mes films préférés, en VHS et c’était toujours un chef-d’œuvre en dépit de la qualité de la VHS, ce qui dit quelque chose sur la qualité du très bon cinéma. Et j’ai été aussi vraiment ému par certains films de MyFrenchFilmFestival.

La société française Memento Production était partenaire en coproduction de La Conspiration du Caire et l’est de nouveau pour Les Aigles de la République. Comment s’est noué ce lien ?
C’est une relation très unique qui s’est tissée avec Alexandre Mallet-Guy. Il avait acheté Le Caire Confidentiel et la première fois que je suis venu à Paris pour la sortie du film, il m’a dit quelque chose qu’aucun distributeur ne m’avait dit avant : "Tarik, tu as réalisé un très bon film, il fera au moins 200 000 entrées en France et s’il ne les fait pas, c’est que je n’aurais pas bien fait mon travail." J’étais soufflé car je n’avais jamais entendu un distributeur prendre ses responsabilités comme cela. En général ils préfèrent me dire qu’ils n’ont pas d’attentes particulières. Ensuite, j’ai travaillé quelques années aux États-Unis et de temps en temps, je rencontrais Alexandre à Paris. Et il me disait : "s’il te plait, Tarik, reviens en Europe, fais tes films ici, tu ne devrais pas travailler dans le système américain. Tu as un vrai public ici." Donc quand j’ai décidé de rentrer en Europe avec plusieurs nouvelles idées de films, Alexandre a fait partie de la conversation. Nous avons donc fait ensemble La Conspiration du Caire et ensuite il a été impliqué très tôt, sur mon film suivant. Je l’ai appelé et je lui ai dit que j’avais trois scénarios et que je voulais son avis. Car j’écris toujours trois scénarios pour me mettre en concurrence avec moi-même : si on a un seul, on peut commencer à se mentir à soi-même en se disant qu’il est bon juste parce qu’on a besoin de travailler. Avec trois, on peut comparer et identifier le meilleur. C’est ainsi que j’ai choisi Les Aigles de la République (lire la news) que j’ai ensuite tourné et que je vais montrer le week-end prochain pour la première fois à Alexandre qui en est le coproducteur et qui en sera le distributeur en France.

Que retirez-vous de votre expérience américaine (la réalisation du long métrage The Contractor et de deux épisodes des séries Westworld et Ray Donovan) ?
J’ai beaucoup appris, mais le problème, au-delà du fait de ne pas avoir le "final cut", c’est que le système y est brisé et que la peur est omniprésente. La plupart des pays européens ont aussi des problèmes sur le plan de l’art et de la culture. En France, la culture fait partie de l’identité, même si je sais que certains politiciens voudraient y mettre fin. Ce sont des idiots évidemment, car sans la culture, la France se désagrègerait. La France est une super-puissance de la culture, c’est indéniable et vous pouvez poser la question à tous les cinéastes du monde, y compris les plus grands noms américains : la France est très importante pour eux car ils savent qu’ici, les gens prennent la culture, et tout particulièrement le cinéma, très au sérieux. Et quand on considère la filière cinématographique dans sa globalité, de la production à l’exploitation, il n’y a que deux super-puissances : la France et les États-Unis. Il y a évidemment des films fantastiques au Japon, en Corée, au Mexique, en Italie, etc., mais la France et États-Unis ont en commun une même attitude : ce n’est pas la langue qui compte, mais le langage cinématographique. Un film français peut très bien être en chinois, en arabe ou en japonais, car l’idée première, c’est que c’est du cinéma. Et c’est plus ou moins la même chose aux États-Unis quand ils essayent d’attirer les réalisateurs du reste du monde pour utiliser leur savoir-faire.

Je suis à ce stade étrange de ma carrière où je suis libre de faire ce que je veux. Si un jour, je refais un film aux États-Unis, ce sera mon film. Mais j’aime l’idée qu’on peut bouger le centre de l’univers jusqu’à un endroit précis et c’est ce que le cinéma permet de manière puissante. Pour beaucoup, le centre de l’univers du cinéma est américain, à Los Angeles ou à New York avec cette idée d’Empire Romain, tout le reste n'étant que des enclaves de cet Empire. Moi, ce que je pense, c’est que Le Caire est le centre de l’univers et que le cinéma permet de s’y projeter pendant deux heures. Être payé pour aller travailler aux États-Unis, c’est sympa, mais pouvoir inviter des spectateurs dans un endroit où ils ne sont jamais allés et avec des personnages qu’ils encore n’ont jamais connus, c’est beaucoup mieux. Car quand je vois un film coréen, je ne suis pas simplement en Corée, je deviens coréen en Corée : c’est bien mieux que la réalité virtuelle.

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