Stéphane Ly-Cuong • Réalisateur de Dans la cuisine des Nguyen
"Il est temps de raconter d’autres histoires"
par Fabien Lemercier
- Le cinéaste nous parle de son premier long, de double culture, de la diversité au cinéma, de la cuisine comme véhicule de partage et des joies de la comédie musicale

Le très sympathique Dans la cuisine des Nguyen [+lire aussi :
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fiche film] est le premier long du Français Stéphane Ly-Cuong est lancé aujourd’hui dans les salles de l’Hexagone par Jour2Fête. Rencontre avec le cinéaste.
Cineuropa : D’où est venue l’idée très originale de ce film ?
Stéphane Ly-Cuong : Depuis longtemps, j’aime explorer les questions liées à la double culture et à la quête identitaire. Le personnage d’Yvonne Nguyen existait déjà dans un spectacle intitulé Cabaret jaune citron que j’ai créé il y a une douzaine d’années. Comme je voulais retrouver le cinéma que j’avais commencé à étudier avant de bifurquer vers le théâtre, ce personnage me permettait de continuer à explorer ces thématiques qui me sont chères : le positionnement entre deux cultures, entre deux pays et comment trouver sa place.
Quid du personnage d’Yvonne qui veut faire carrière dans la comédie musicale et dont la mère tient un restaurant vietnamien, ce qui renvoie sans arrêt sa fille à une culture qui est la sienne mais qu’elle ne connait pas si bien que cela ?
J’avais envie de pousser au maximum ces contradictions, ces obstacles. Sa famille et en particulier sa mère la renvoient à une image d’elle-même qu’elle n’est pas. Quant aux professionnels de la comédie musicale, notamment le metteur en scène interprété par Thomas Jolly, ils l’enferment aussi dans d’autres clichés. Je voulais que mon personnage suive un parcours d’émancipation et d’affirmation : trouver sa propre vérité au milieu de toutes ces facettes dont certaines sont peut-être authentiques mais dont elle n’a pas forcément conscience au début, notamment celles liées à ses origines et à ses vraies racines. C’est un cheminement identitaire à travers toutes ces choses qu’on a envie de lui assigner et tous ces stéréotypes qu’on a envie de lui accoler.
Vos interprètes, en particulier Clotilde Chevalier dans le rôle principal, ont tous des physiques plutôt inhabituels, dans le cinéma français. Est-ce une volonté délibérée ?
Au-delà du talent évidemment, je voulais montrer des personnes différentes à l’écran, que ce soit dans leurs corpulences, leurs origines, leurs âges, leurs orientations sexuelles. Je ne voulais pas entrer dans un format en dehors de mon propre format, c’est-à-dire retrouver un peu plus à l’écran le monde dans lequel j’évolue avec des gens très variés. En matière de diversité, dans le cinéma français, tout cela change un peu, et heureusement. Néanmoins les Français d’origine asiatique sont quasiment inexistants et cette catégorie méritait selon moi d’être un peu plus mise en avant car c’est l’environnement d’où je viens et dans lequel j’évolue. Comme dit Yvonne dans le film : "il est temps de raconter d’autres histoires."
Sur quelle tonalité souhaitiez-vous que le film évolue ?
J’avais envie d’une comédie joyeuse. Mais je voulais aussi qu’il y ait des moments doux-amers, mélancoliques parfois, et également des contrastes : qu’on puisse rire et pleurer. J’ai travaillé sur tout cela, mais en ménageant tout le temps une certaine notion de légèreté car je ne voulais pas qu’on soit seulement dans le pathos en parlant du racisme ordinaire, de l’exil ou du déracinement. Je pense qu’on peut parler de ces choses avec une certaine légèreté sans pour autant négliger d’entrer parfois d’entrer en profondeur ou d’aborder une couleur plus mélancolique.
La cuisine et le personnage de la mère un peu pénible sont des éléments très importants du film, ce qui est à la fois très drôle et très authentique.
J’ai l’habitude de dire : j’ai une mère vietnamienne à fort caractère et cinq grandes sœurs à fort caractère. Donc je n’ai pas besoin d’aller chercher l’inspiration très loin (rires). Je voulais raconter le rapport mère-fille et plus généralement le rapport parents-enfants. Mais comme c’est une fiction et une comédie, j’ai poussé un peu les curseurs afin de construire l’histoire et pour qu’on puisse s‘en amuser aussi. Quant à la cuisine, je suis parti de l’idée que quand on est né de parents d’origine étrangère, ce qu’ils nous transmettent, c’est rarement l’Histoire, la politique et la géographie, mais c’est souvent la cuisine. C’est souvent le seul lien qui nous reste avec notre culture d’origine. C’est un moyen de transmission, de communication et aussi un moment de partage affectueux. J’ai donc eu envie de mettre la cuisine comme lien central et la filmer car c’est également très cinématographique. Et elle se pratique dans un lieu clos, intime où les confidences viennent peut-être plus facilement.
Comment avez-vous abordé les séquences de comédie musicales ?
Mon point de départ, c’était, comme le dit le personnage dans l’une des chansons, "je préfère voir la vie en comédie musicale" car la vie est plus belle en comédie musicale. Je voulais partir d’un personnage dont on puisse imaginer qu’elle a trouvé son enfance et son adolescence un peu morose dans ce petit appartement de banlieue avec une mère un peu pénible et pour qui la comédie musicale était une porte vers la beauté, la poésie, le merveilleux, la magie, un univers où tout est possible. Donc je voulais des numéros de comédies musicales qui s’ancrent la vie réelle (une répétition, un spectacle, une audition), mais qu’à certains moments on puisse basculer dans un côté plus onirique. J’ai donc adapté ma mise en scène en conséquence pour que les numéros musicaux soient plus sophistiqués, aient plus d’ampleur en termes de mouvements de caméra, de lumières et de montage afin de créer un contraste avec une vie réelle plus classique, "banale", avec des champs-contrechamps, des plans fixes ou de la caméra à l’épaule. Mais petit à petit, les choses finissent par se mélanger de plus en plus.
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