Hélène Cattet & Bruno Forzani • Réalisateurs de Reflet dans un diamant mort
"On a pensé le récit comme un diamant, construit l’histoire avec plusieurs facettes"
par Aurore Engelen
- Rencontre avec l’inspiré duo de cinéastes à propos de leur dernier film, une relecture psychédélique et frénétique du mythe du Héros

Le duo de réalisateurs Hélène Cattet et Bruno Forzani sont de retour avec Reflet dans un diamant mort [+lire aussi :
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fiche film], une relecture psychédélique et frénétique du mythe du Héros présentée en compétition à la 75e Berlinale et désormais projetée en compétition au Luxembourg City Film Festival.
Cineuropa : On remonte le fil de la mémoire d’un vieil homme donc, sauf que sa mémoire patine, c’est une expérience tout sauf linéaire.
Bruno Forzani : On a pensé le récit comme un diamant, construit l’histoire avec plusieurs couches thématiques et narratives. Quand on regarde un diamant, il a plusieurs facettes. On a voulu la même chose pour le film, que l’on puisse le voir de différentes manières.
Hélène Cattet : On a recouru aussi à l’op art, qui est l’art de l’illusion optique, dont les décors et les costumes s’inspirent.
C’est une esthétique du fragment, comme la mémoire du vieil homme qui essaie de remettre les pièces du puzzle ensemble ?
H.C. : C’est exactement ça, la mémoire fragmentée du personnage principal, qui se perd dans ses souvenirs en voyant sa vie redéfiler devant ses yeux.
B.F. : Quand nous préparions le film, nous avons vu The Father [+lire aussi :
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fiche film] avec Anthony Hopkins. Bizarrement, ça nous a fait penser à notre approche, même si on a voulu faire un film de divertissement avec des scènes d’action, des courses-poursuites.
L’histoire du cinéma vient nourrir le hors champ du film, pourriez-vous nous parler de vos références cinématographiques ?
B.F. : Notre première référence, c’était l’EuroSpy des années 60, des sortes de contrefaçons de James Bond tournées en Italie, en France ou en Espagne. On a voulu mélanger cet univers très pop et très psychédélique avec Mort à Venise de Visconti pour voir ce que ça allait donner. Et puis il y a aussi Sunset Boulevard pour le jeu de mise en abîme du cinéma, et les fumetti, ces comics italiens comme Diabolik qui mettent en scène des méchants qui sont en fait les héros de l’histoire. On aimait bien la façon dont la culture italienne a revisité James Bond et les histoires de super-héros, on est dans une zone grise où il n’y a pas ce côté lutte entre le bien et le mal comme on peut le retrouver dans les blockbusters américains. C’est beaucoup moins manichéen.
Ce n’est ni un pastiche, ni une parodie, mais plutôt une réappropriation de ces codes, de ces grammaires…
H.C. : Notre point de départ, ce sont les films d’espionnage, mais le but n’est pas de les copier, c’est juste un langage commun, que tout le monde a intégré. Ça nous permet d’emmener le spectateur vers quelque chose de plus inattendu, plus surprenant. Ce qui nous intéresse dans ce parallèle, c’est que ces films présentent un monde édulcoré, que l’on aime juxtaposer avec le monde actuel, créant ainsi un contraste.
Le film raconte la mort imminente de votre héros, mais aussi la mort du Héros en général. Il y a un côté chant du cygne.
B.F. : L’histoire, c’est celle d’un héros qui n’a pas réussi à sauver le monde, et qui se retrouve confronté au résultat de toutes les missions qu’il a menées, qui ont même plutôt contribuer à détruire la planète. Les héros à la James Bond qui ont bercé notre enfance ont échoué.
H.C. : On a besoin d’une nouvelle image du héros, et des héroïnes aussi !
Le film offre expérience viscérale, où les corps et les matières ont une grande place.
H.C. : On a essayé de construire le film non de manière cérébrale, mais de manière physique, pour proposer une expérience sensorielle. Le son joue énormément. On a travaillé chaque son de manière très précise avec notre sound designer Dan Bruylant, pour qu’il rentre dans les corps, on tourne sans son direct, on retravaille avec notre bruiteur, Olivier Theys. La lumière de Manu Dacosse, le montage de Bertrand Beets, les décors de Laurie Colson. Tout participe de cette expérience sensorielle, les habits, les textures, la lumière.
Qu’est-ce qui vous tenait le plus à coeur avec ce projet ?
H.C. : Ce qu’on aime, c’est quand le spectateur peut prendre sa place dans le film. On n’a pas pour démarche de le guider avec des dialogues explicatifs, de lui dire ce qu’il doit comprendre. On veut qu’il soit actif. Ce n’est pas grave si sur le coup c’est compliqué de se frayer un chemin dans le labyrinthe, on veut qu’il prenne plaisir à s’y perdre. Que le film continue à vivre en lui. On rêve que le film ait une vie plus longue, ce n’est pas un film de consommation rapide.
B.F. : Pour moi, c’est une déclaration d’amour au cinéma. Aujourd’hui, on appelle les films des "contenus", on regarde ça sur nos ordinateurs, et ce n’est plus du tout la même expérience. Ce qui m’a donné envie de faire notre métier, c’est la salle. C’est ça le coeur battant du projet.
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