Elise Hug • Productrice, Alter Ego Production
“Ce que j'adore, dans le documentaire artistique, c'est sa nature polymorphe"
- La productrice française nous explique pourquoi elle espère encore que les documentaires peuvent aider à rendre le monde plus beau

Élise Hug a étudié les arts plastiques et la théorie du cinéma pendant quatre ans. Après ses deux Masters, un en réalisation et un en production de films documentaires, Élise rejoint en 2014 Alter Ego Production, basé à Orléans. Les films qu’elle défend sont des documentaires de création qui expriment des points de vue singuliers et engagés. Depuis plusieurs années, Élise est membre de commissions au CNC et au sein de fonds régionaux. Elle a aussi participé à Eurodoc en 2020. Entretien avec la productrice, à l’occasion de sa sélection pour le programme Emerging Producers 2025 (cliquez ici pour voir son profil EP).
Pourquoi produisez-vous des documentaires ? Voyez-vous le cinéma documentaire comme un instrument de changement social et politique ?
Élise Hug : Ce que j’aime dans les documentaires de création, c'est leur nature polymorphe : ils peuvent embrasser un large éventail d'approches esthétiques, du cinéma-vérité au desktop-documentary, c'est un cinéma qui peut emprunter à la fiction, utiliser des techniques d’animation, ou du found footage… Je trouve que c’est une richesse que des films puissent embrasser pleinement un point de vue singulier, alors que les médias continuent d’essayer de nous faire croire à l’illusion de la neutralité. Une part de moi est pragmatique – j’ai le sentiment que les questions sociales, climatiques et politiques sont si vastes et complexes que nos documentaires ne peuvent pas réellement changer les choses face aux discours dominants – mais j’ai tout de même de l’espoir. À plus petite échelle, je crois que si un film touche ou émeut profondément quelqu'un, cela peut lui permettre de se sentir plus proche d'une problématique, l'encourager à y réfléchir différemment, voire l'inciter à agir. Et même si le cinéma ne peut pas changer le monde, il peut au moins le rendre plus beau, plus vivable, plus illuminé.
Comment arrivez-vous à maintenir un équilibre entre votre travail et votre vie privée et à privilégier l'épanouissement ?
Je ne suis pas citadine : j’ai besoin d’être proche de la nature et je déteste passer du temps dans le métro. Mais en France, la production reste très centralisée. J’ai eu la chance de rejoindre Alter Ego Production juste après mes études. Notre société est à Orléans, à 1h seulement de Paris en train, et j’ai pu m’installer dans une maison avec un grand jardin (où vivent deux poules et une tortue). Aussi, je ne fais pas de télé-travail : je partage un bureau avec mes collaboratrices ainsi qu'une autre société de production, un graphiste et un webdesigner. Ça me permet d’interagir avec d’autres personnes et de ne pas me sentir seule avec mes problèmes. Enfin, le dernier ajustement que j’ai opéré pour trouver un équilibre entre ma vie personnelle et professionnelle est venu après la naissance de mon deuxième enfant : j’ai décidé de ne travailler que quatre jours par semaine. Ça me permet d’être plus détendue, plus disponible pour ma famille et plus efficace dans mon travail.
Où trouvez-vous le public pour vos films ?
Quand je m’engage sur un projet, je n’ai pas une stratégie de production préétablie ou de public-cible. Tout s'élabore au fur et à mesure de l'écriture et du développement. Malheureusement, en France, on nous demande de décider très tôt si un film est destiné au cinéma ou à la télévision, comme si les deux étaient incompatibles. Pour pouvoir toucher un public plus vaste, il faut s’affranchir de ce cadre. Après les premières en festival et la diffusion principale, nous cherchons d’autres publics : en amenant des films réalisés pour la télévision en salle, en vendant des longs-métrages à des chaînes de télévision, en contactant des plateformes de VOD, en travaillant sur la distribution non commerciale à travers les institutions, les bibliothèques et les associations…
J’ai aussi appris que je ne peux pas tout faire seule, que j'ai besoin d’alliés. Trouver un vendeur international pour chaque film est crucial : ils amènent une énergie et des perspectives nouvelles, nécessaires après des années de travail sur la production. Et surtout, ce sont des experts extrêmement dévoués à leur métier ! Enfin, travailler sur des coproductions internationales est aussi une manière de produire des films plus ouverts sur le monde : en collaborant avec d’autres pays, on peut toucher un public plus vaste et y travailler en amont de la sortie du film.
Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?
Je suis sur le point de terminer deux films passionnants après un parcours de production long mais gratifiant ! Ils ont tous les deux été développés à travers Eurodoc 2020. Le premier, Gabin de Maxence Voiseux, est un long-métrage documentaire qui suit un garçon de l’âge de huit à dix-huit ans, une saga familiale doublée d'un récit d’apprentissage. Après quasiment une décennie de fabrication, nous sommes dans la dernière ligne droite pour terminer le tournage et le montage. J’ai vraiment hâte qu'il voie le jour ! Le deuxième film, Under the Dance Floor de Sara Timar, est une coproduction avec la Hongrie, une enquête historique, politique et intime sur le passé de la maison de la réalisatrice, une villa qui a servi de lieu d’enfermement et de torture pendant la période communiste. Le film est présentement en montage, entre les mains du talentueux Qutaiba Barhamji, et nous sommes bien partis pour le terminer d’ici la fin de l’année.
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EMERGING PRODUCERS est un projet promotionnel et pédagogique de premier plan qui réunit de talentueux producteurs de films documentaires européens. Le programme est organisé et curaté par le Festival international du documentaire de Jihlava.
Le date limite d'inscription pour l'édition 2026 de EMERGING PRODUCERS a été fixée au 31 mars 2025.
(Traduit de l'anglais)
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