Jaime Rosales • Réalisateur de Morlaix
“Le héros du film est le spectateur”
par Alfonso Rivera
- Le cinéaste catalan nous parle de son nouveau film, qui aborde des sujets comme le destin, la mort, la fiction cinématographique et les décisions qui changent à jamais nos existences

Jaime Rosales a présenté à la dernière édition de l'IFFR son nouveau long-métrage, Morlaix [+lire aussi :
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fiche film]. Trouvez-vous cette étape de la vie particulièrement intéressante ?
Jaime Rosales : Oui, c’est le moment où on entre dans la phase où on va prendre les décisions les plus importantes de sa vie : quel métier on veut choisir et avec quelle personne on a envie de fonder une famille. C’est un moment plein d’angoisses et d’incertitudes, mais aussi très ïntense émotionnellement. C’est le moment où une infinité de possibilités se concrétisent. Ça ne se fait pas en un jour, ça dure plusieurs années, de dix-huit à trente ans, mais ça commence pendant la dernière année du lycée.
Dans Morlaix, vous utilisez différents formats et des photographies. Quelle était votre intention ?
Au moment où je réfléchissais à la matrice filmique, à l’esthétique que je voulais pour ce film, à l'ensemble des règles sur ce que je voulais m'autoriser à faire ou pas, j'hésitais entre deux possibilités : tourner en noir et blanc en 35mm Cinemascope ou en couleur en 16mm dans le format académique. J’adorais les deux. Un mois je penchais pour l'un, et le suivant pour l’autre. Finalement, dans un exercice de liberté, j’ai opté pour les deux. Puisque les deux me plaisaient, les deux avaient leur place dans le film.
C’est votre premier film entièrement tourné en français. Avez-vous été à l'aise en travaillant dans cette langue voisine ?
La langue n’a pas été un problème, car j’ai étudié au Lycée français de Barcelone. Je crois que si j’avais tourné dans une langue que je ne connais pas, comme le japonais, par exemple, je me serais arrangé d'une manière ou d'une autre pour communiquer. Le langage du cinéma est celui des images, la langue parlée n’est pas un problème. Pour ce qui est des aspects culturels de chaque pays et de ses nuances sociologiques, c'est différent. Si j’avais voulu faire un film sociologique, avec une grande précision socioculturelle, j’aurais eu du mal, mais comme Morlaix est plus allégorique, métalinguistique et philosophique, je n’étais pas tellement esclave d'une nécessaire précision sociologique.
Vos jeunes personnages réfléchissent sur la mort, un thème qui plane sur le récit. Le deuil est-il un des états de l’âme les plus douloureux, qui provoque un terrible sentiment d'impuissance ?
Je crois que la mort est le grand tabou de notre époque, comme l'a été le sexe à l’époque de nos parents et de nos grands-parents. La mort est douloureuse, c’est certain, mais c'est aussi la boussole qui donne un sens à notre vie. C’est parce qu'on meurt que notre vie a de la valeur et de l’intensité. Nous devons rendre à la mort sa juste place, à savoir au centre de la vie, pour que nos décisions aient la transcendance qu’elles méritent.
Vous parlez aussi ici des sentiers et décisions qu'on prend dans la vie. Êtes-vous nostalgique de ce qui aurait pu être ?
Décider implique recueillir les fruits de notre décision, mais aussi perdre tout le reste. Il vaut mieux réfléchir longuement et essayer différentes choses avant de prendre des décisions. J’ai beaucoup douté moi-même, avant d'aller vers le cinéma. J'ai testé le travail en entreprise, j'ai essayé la peinture et le chant lyrique… Pareil pour ma femme : avant de me marier, j'ai eu d’autres relations. Tout ceci fait partie de l’apprentissage de la vie, comme le dit le personnage de Hugo à Jean-Luc dans Morlaix. Ça ne me rend pas nostalgique. Étant à présent cinéaste et père de famille, je profite de tout ce que la vie me donne. Je ne pense pas à ce qui aurait pu se passer d'autre, je me concentre sur ce que je dois continuer à être.
Le film montre combien on se reflète dans les films qu'on regarde. Le cinéma est-il pour vous un miroir de ce que nous fûmes, sommes ou pouvions être ?
La fiction cinématographique, comme toute fiction, est à la fois un miroir et un télescope. La fiction rend la vie intelligible. Nous avons besoin de la fiction pour comprendre ce qui nous arrive, pour réfléchir sur notre existence. C'est comme ça depuis que les Grecs ont inventé le théâtre et même avant, depuis les premiers récits oraux que se racontaient nos ancêtres.
Est-ce que Morlaix est un film triste, plein de vie ou porteur d’espoir ?
J’aimerais que ce soit un film à la fois émouvant et qui fait réfléchir.
Que doit attendre le spectateur qui ira le voir. Est-ce une invitation à philosopher, faut-il qu'il se laisse porter, ou autre chose ?
Ce que je veux, c'est émouvoir et stimuler l’intelligence du public. Le héros de cette histoire, c’est le spectateur.
(Traduit de l'espagnol)
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