CANNES 2025 Quinzaine des Cinéastes
Julien Rejl • Délégué général de la Quinzaine des Cinéastes
"La Quinzaine est une terre de défrichage et d’exploration"
par Fabien Lemercier
- Le délégué général de la Quinzaine des Cinéastes évoque sa sélection 2025 et éclaire le débat sur sa ligne éditoriale

Après la révélation du programme de la 57e Quinzaine des Cinéastes (du 15 au 25 mai dans le cadre du 78e Festival de Cannes – lire l’article), rencontre à Paris avec le délégué général Julien Rejl.
Cineuropa : Pourquoi avoir resserré la sélection à 18 long métrages contre 21 l’année précédente ?
Julien Rejl : J’ai remarqué l’an dernier qu’en essayant de mettre un tout petit peu plus de films, tout simplement pour donner plus de chances à des cinéastes, nous avions été contraints dans la grille, puisque nous n’avons qu’une seule salle, de ne passer certains films qu’à une seule séance. C’est toujours un peu étrange que des films aient plus de chances que d’autres d’être exposé. Donc nous avions envie de revenir à un traitement plus égalitaire. Et avoir moins de titres, cela permet à la Quinzaine de mieux les travailler, mieux les exposer, mieux les accompagner.
Ce qui n’a pas changé, c’est votre ligne éditoriale fortement axée sur la découverte avec huit premiers longs au menu.
Est-ce un choix conscient ? Je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que nous sentons tous, au sein du comité de sélection, cette envie de défricher, d’aller vers de l’inattendu, vers des surprises, ailleurs que là où certains pourraient penser que nous allons être. Même s’il y a effectivement beaucoup de premiers films et de cinéastes encore peu connus, je pense aussi qu’en termes de typologies de films et de propositions, nous avons essayé d’aller vers des choses sur lesquelles nous n’étions pas encore allés.
Quelle diversité peut-on donc attendre de votre sélection qui inclut notamment deux films d’horreur ?
Il y avait d’abord cette idée générale de ramener du cinéma de genre, de manière beaucoup plus affirmée que ce que j’avais fait les deux années précédentes. Car nous avions cherché, mais n’arrivions pas à trouver. Là, avec Dangerous Animals de Sean Byrne, il y a du cinéma de genre pour les amateurs, mais pas que, avec l’idée de "l’entertainment", du fun, qui est liée évidemment à la question de la mise en scène car il y a un excellent metteur en scène qui respecte les codes du sous-genre du cinéma de requin et du "survival". Je pense que la Quinzaine doit aussi être sur ce type de créneau. Et effectivement, il y a de l’horreur également avec Que ma volonté soit faite de Julia Kowalski [article], dans un style plus mystérieux, plus auteur. Mais il y a aussi de la comédie très populaire comme Classe moyenne d’Antony Cordier [article] ou encore du thriller très assumé avec Girl on Edge de Jinghao Zhou (un premier film chinois sur le patinage artistique). Il y a des films qui décident d’aller sur les rails de certains genres et de les assumer pour proposer quelque chose de nouveau.
À côté de ces découvertes, vous présenterez les nouveaux films de Christian Petzold et Robin Campillo. Avez-vous assoupli votre intention affichée à votre arrivée à la Quinzaine de ne pas sélectionner d’œuvres recalées par la Sélection Officielle ?
Non. Il n’y a jamais eu de déclassés. Ce que j’avais dit quand je suis arrivé, c’est qu’il me semble important que la Quinzaine ait des couleurs à part entière, qu’elle se positionne sur des films qui peut-être ne seraient pas ailleurs par nature. L’idée, c’est de ne pas attendre que des films ne soient pas pris ailleurs pour les avoir. Christian Petzold n’est pas du tout un habitué de Cannes. C’est un auteur que j’adore et je trouvais cela très intéressant de faire en sorte que ce soit la Quinzaine qui le mette vraiment en valeur à Cannes pour une première fois. En ce qui concerne Robin Campillo, il s’agit d’un film un peu particulier puisque c’est aussi le dernier de Laurent Cantet [article], un projet tout à fait unique et il me semblait, en tant que geste de cinéma d’auteur, que sa place était à l’ouverture de la Quinzaine. Je trouve que c’est tout à fait cohérent avec cette idée que la Quinzaine est une terre de défrichage et d’exploration, mais aussi une sélection qui retrouve des cinéastes amis, des cinéastes qui ont déjà un certain parcours et qui reviennent avec des œuvres sur lesquelles il n’y a pas de peut-être pas d’enjeu compétitif, mais qui sont de grandes œuvres.
En termes de géographie, la sélection 2025, comme lors des deux précédentes éditions, englobe surtout un bloc français, du cinéma indépendant nord-américain et des films asiatiques.
Nous allons vraiment chercher partout dans le monde. Cette année, il y avait par exemple des films sud-américains que nous avons beaucoup aimés : certains sont partis ailleurs et pour d’autres, quand il s’agit de faire les choix définitifs, c’est la qualité des films qui parle et nous avons finalement préféré prendre un film asiatique supplémentaire qui est très fort. Je me réserve le droit que le monde entier ne soit pas forcément représenté pendant une année et évidemment, même si je ne me donne aucun devoir, je me dis que l’année suivante, nous redoublerons d’efforts pour que ceux qui ont été peu représentés le soient davantage. Mais nous essayons de rester fidèles avant tout à notre premier critère : aller, au sein de la découverte, vers des choses qui nous surprennent énormément, qui sont neuves et audacieuses.
Quid des cinématographies européennes, au-delà des films français, de l’allemand, du belge et du documentaire ukrainien que vous avez retenus ?
Ce n’est pas un regret, mais nous aurions beaucoup aimé qu’il y ait des cinéastes scandinaves car cette année, nous avons reçu plusieurs films de cette région qui se distinguaient par une envie de cinéma tout à fait fraiche et renouvelée. C’est dommage car nous n’avons pas trouvé le ou les films que nous aurions aimé faire rentrer dans la sélection finale, mais le dynamisme est là. Et c’est pareil pour les pays latins, le Portugal, l’Italie, l’Espagne, avec des films qui témoignaient d’un cinéma vraiment très en forme. Mais l’arbitrage nous a fait préférer découvrir d’autres cinéastes. Enfin, c’est vrai que la France, et c’est un peu une coutume à Cannes et à la Quinzaine, est toujours assez bien représentée. Mais même si Thomas Ngijol est français,
Indomptables est dans sa facture un film qui parle enfin du Cameroun de manière fictionnelle, un vrai film policier avec une ambition de cinéma, un talent de mise en scène et de direction d’acteurs remarquables. Dans son ADN, c’est un film camerounais. Et quand nous l’avons avons découvert, cela a été une surprise totale !
Une rumeur très insistante à la veille de la révélation de votre sélection anticipait la présence du film de Jim Jarmusch à la Quinzaine, voire une bataille de sélectionneurs autour du film. Info ou intox ?
Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai reçu lundi plusieurs mails de félicitations pour la présence du film de Jim Jarmusch à la Quinzaine. Je me disais qu’il y avait peut-être quelque chose que je ne savais pas qui avait été validé en mon absence et j’en étais très heureux. Honnêtement, je n’ai pas vu le film de Jim que j’ai hâte de voir et je lui souhaite évidemment le meilleur pour sa première mondiale.
Vous renouvelez le prix du public initié en 2024. Quel est son impact ?
C’est un peu tôt pour le dire après seulement une année. Mais je suis hyper heureux de voir le destin de son premier vainqueur, Universal Langage de Matthew Rankin, depuis sa présentation à la Quinzaine. Évidemment, cela tient d’abord au film et on ne va pas s’attribuer les lauriers à nous-mêmes. Malgré tout, j’ai le sentiment que s’être fait distinguer par le public a quand même fait briller le film. Le fait que ce soit lui que le Canada ait choisi pour les Oscars, sur le papier, ce n'était pas évident car le film a beau être génial, il est complètement fou, surréaliste, bizarre. J’ai pris cette sélection pour les Oscars comme un signal optimiste, donc nous retentons l’expérience cette année. Nous verrons bien ce que cela donnera et nous ne nous interdisons rien pour la suite.
Vous aviez placé la barre assez haut à votre arrivée à la tête de la Quinzaine en termes d’exigence et de "radicalité" dans votre ligne éditoriale. Avec trois ans maintenant d’expérience, où en sont vos rapports avec les vendeurs, les distributeurs et les producteurs qui avaient été plus ou moins surpris au départ ?
La Quinzaine, c’est l’ouverture à une pluralité de cinématographies, pas seulement en termes d’origines et de nationalités, mais aussi en termes de typologies, de genres, de cinéma d’auteur pointu comme de propositions plus populaires. C’est cela qui fait la richesse du cinéma et qui a toujours fait la richesse de la Quinzaine : pouvoir montrer tous ces films sur un pied d’égalité et voir qu’ils peuvent coexister. Cela a toujours été ma philosophie. Après, le fait est que comme nous aimons aller chercher les auteurs, les découvrir, cela a pu un peu surprendre car comme nous n’avons que 18 ou 19 places, c’est difficile de faire plaisir à tout le monde. L’idée, ce n’est pas ça, mais c’est de trouver des cinéastes et de leur donner une plateforme qui va les faire naître au monde entier. C’est une responsabilité assez lourde, assez grande, en tous cas qui me tient à cœur, et je dois composer avec ça. Cela a pu surprendre dans un premier temps et certains commençaient à regarder les chiffres des entrées en salles des films. Mais j’ai vérifié : quand les premiers films des frères Dardenne, de Michael Haneke, de Ruben Östlund et de tant d’autres qui sont passés par la Quinzaine sont sortis à l’époque, ce n’était pas forcément de grands succès en salles. Les premiers films de ces cinéastes qui ont aujourd’hui des Palmes d’or ont eu besoin de temps pour être découvert et considéré comme les œuvres de grands auteurs. Donc je pense qu’il faut rester humble vis-à-vis de tout cela, tout en reconnaissant aussi que nous sommes très heureux quand nous avons de films qui rencontrent le public immédiatement, qui vont être populaires. Car je crois beaucoup à la cinéphilie populaire, j’ai grandi avec elle. Donc j’essaye de rester très ouvert à tout. Mais il faut avoir que seulement 30 à 40% des films qui nous sont soumis ont déjà un vendeur ou un distributeur, donc cela signifie qu’il y a 60% à 70% de films qui viennent de nulle part, tout nus. Je pense que tout le monde doit être considéré de la même façon et j’essaye de travailler en bonne intelligence et avec tout le monde. Cet argument des entrées en salles, nous l’entendons de plus en plus, mais je pense que cette sélection peut le démentir car nous n’avons absolument pas cédé sur la qualité, mais la générosité dans quasiment tous les films que nous allons présenter me donne bon espoir que cela se transforme ensuite en termes d’entrées, même si ce n’est pas mon objectif premier.
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