Hafsia Herzi • Réalisatrice de La Petite Dernière
"Un personnage de jeune femme lesbienne, musulmane, en contradiction avec sa foi, qui a des désirs, qui se cherche"
par Fabien Lemercier
- CANNES 2025 : La cinéaste française raconte pourquoi et comment elle a adapté le roman de Fatima Daas, et quels ingrédient personnels elle a apportés au film

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Cineuropa : Vos deux premiers longs étaient des scénarios originaux, La Petite Dernière est une adaptation du roman de Fatima Daas. Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce livre ?
Hafsia Herzi : On m’a proposé cette adaptation et j’ai vraiment eu un coup de coeur pour l’histoire qui m’a beaucoup touchée. Je n’avais jamais vu ce personnage au cinéma, mais dans la vie, si. Comme j’ai grandi dans les quartiers Nord de Marseille, ce personnage de fille lesbienne vivant en banlieue, je le connais et je l’ai connu, et cela m’a donné envie de le porter à l’écran et mettre la lumière sur lui. L’idée de l’adaptation m’inquiétait quand même un peu car le roman avait été beaucoup aimé et les adaptions au cinéma ne se passent pas toujours bien, avec un risque de déception. Mais comme j’aime les défis, je me suis lancé.
J’ai d’abord évacué tout le volet de l’enfance qui est très présent dans le livre en me disant qu’on comprendrait l’enfance qu’elle a eue en voyant la famille. J’ai tout rassemblé sur un an de sa vie et j’ai trié en prenant ce qui m’inspirait dans le roman : un personnage de jeune femme lesbienne, musulmane, en contradiction avec sa foi, qui a des désirs, qui se cherche, un personnage qui se sent mal intérieurement parce qu’elle se sent différente, car elle sait qu’elle est attirée par les femmes depuis toujours. Mais il y a la société... Elle s’en veut aussi par rapport à sa famille et par rapport à sa religion. Cela m’a touché car je sais que des gens n’avouent jamais leur homosexualité à leurs parents et que parfois des femmes attirées par les femmes se marient avec des hommes, et inversement, pour essayer d’être dans la "normalité". Cela brise le cœur, c’est une communauté qui souffre. J’ai recueilli beaucoup de témoignages car j’avais besoin d’enquêter. S’il y avait des éléments dans le livre dont je me sentais proche, notamment la classe sociale du personnage, la famille, les études, l’émancipation, je ne connaissais pas du tout le côté de la sexualité des femmes qui aiment les femmes. D’ailleurs, je savais que l’homophobie existait, mais je ne me rendais pas compte à quel point et j’ai été horrifiée par certains témoignages.
Quid de l’aspect romantique du film dans ce contexte beaucoup plus large ?
J’ai voulu normaliser le personnage. C’est un être humain avant tout. Chacun doit être libre de vivre sa vie et ses désirs comme il l’entend. J’avais envie que tout le monde puisse s’identifier à cette histoire d’amour. Ce sont deux femmes, mais cela pourrait être un homme et une femme : les problèmes sont pareils, l’amour c’est compliqué pour tout le monde.
Vous accordez beaucoup de place à la famille du personnage, à a culture, la religion n’apparaissant que très ponctuellement dans le récit.
Dans le livre, la religion est plus présente, mais je voulais plutôt la décrire comme un décor. C’est la foi du personnage, c’est son intimité et cela ne nous regarde pas. C’est pour cette raison que pour les scènes où elle prie, on rentre directement dans l’action, on est loin, on est pudique. D’ailleurs, le film ne montre pas le reste de sa famille en train de prier, on ne sait pas.
Comment vouliez-vous traiter les scènes de sexualité qui sont à la fois très frontales et très pudiques car vous coupez assez vite ?
J’avais envie de sensualité et de montrer la sexualité car cela fait partie de la vie, mais je ne voulais pas de déjà-vu, de scènes de sexe simulées. J’ai essayé de trouver quelque chose de nouveau et j’ai donc filmé une scène de sexe parlé qui n’existe pas dans le livre et dont les dialogues ont été inspirées par mon enquête sur la sexualité féminine. J’avais envie qu’on oublie les caméras et que les choses soient dites.
Les gros plans sont un moteur très puissant dans votre mise en scène.
Comme dans mes films précédents, j’aime être proche des personnages, voir les visages, les défauts des peaux. J’avais aussi envie qu’on soit comme dans la tête du personnage. Même s’il y a des plans larges dans le film, ce n’est pas ce que je préfère. Dans le cinéma français, on n’a pas trop l’habitude, il n’y a pas beaucoup de gros plans. Avec mon chef-opérateur, nous avons cherché de objectifs le plus près possible de visages, pour être vraiment dans l’émotion du personnage.
Nadia Melliti est une véritable révélation. Comment l’avez-vous trouvée ?
Nous avons fait un gros casting sauvage qui duré presque un an. Dès l’écriture, je savais que ce serait compliqué de trouver la personne qui allait incarner ce personnage. Nadia a été découverte dans la rue et j’ai d’abord vu une photo d’elle. J’ai été frappée par son regard. Et après les étapes de l’interview et des essais en improvisation, dès je l’ai rencontrée, j’ai su que c’était elle. Elle a apporté également un côté sportif au personnage et d’ailleurs, quand j’ai vu ses vidéos de foot, car elle a été professionnelle, même si je n’y connais rien, je trouvais ça beau.
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