Dominik Moll • Réalisateur de Dossier 137
“Les films peuvent-ils changer quelque chose, ou est-ce qu'ils ne parlent vraiment qu'à ceux qui sont déjà d'accord avec ce qui y est montré ?”
par Marta Bałaga
- CANNES 2025 : Le cinéaste français traite du mouvement des gilets jaunes et des violences policières qui se sont ensuivies pour poser quelques questions inconfortables

Dans Dossier 137 [+lire aussi :
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interview : Dominik Moll
fiche film], interprété par Léa Drucker et présenté en compétition au 78e Festival de Cannes, le réalisateur français Dominik Moll pose des questions inconfortables. Lors d’une interview en table ronde organisée dans le cadre du festival, il nous a parlé davantage de son nouveau film.
"Je ne me sens pas à l'aise dans les manifestations ; je ne suis pas un 'manifestant régulier'. Pendant que je préparais le film, je suis allé à une manifestation avec la police, et ça a été assez bizarre. Ils ont mis un casque sur ma tête et m’ont donné des protège-épaules, et je me suis senti un peu stupide, mais ça m'a aussi donné une idée de ce que c'est qu'être de l’autre côté, quand on attend pendant des heures et que soudain, tout le monde se met à courir partout sans qu'on sache pourquoi."
Moll a pu s'identifier à certains policiers, reconnaît-t-il, "pas ceux qui ont clairement un problème de violence, mais ceux qui font du maintien de l'ordre pendant les manifestations, qui se retrouvent dans une situation difficile. Pendant le mouvement des gilets jaunes, on leur disait : "C’est la guerre, c’est le chaos, le pays est en danger: voici des Flash-Ball et des grenades". Bien sûr qu’ils allaient les utiliser. Je ne dis pas ça pour excuser les comportements individuels qui devraient être sanctionnés et punis, mais le vrai problème, c’est la hiérarchie et le fait que les victimes de cette possible violence policière ne sont pas reconnues comme telles". Même quand elles sont gravement blessées.
Moll a eu connaissance de nombreux détails insolites voire absurdes pendant ses recherches. "C’est pour ça qu'il était fondamental de passer quelques jours avec l'IGPN (inspection générale de la police nationale), sans quoi je n’aurais pas pu faire ce film. Un des enquêteurs m’a dit que la BRI, la brigade qui intervient contre les terroristes et dans les situations de prise d’otages, n’aurait jamais dû être chargée de faire du maintien de l'ordre. Ils ne savent pas faire ça ! On leur a demandé de rejoindre les forces de police présentes à la dernière minute, donc ils sont allés chez Decathlon et ils ont acheté des casques de skateurs. Dans une affaire réelle, ils ont été identifiés précisément à cause de ces casques Decathlon."
"En France, ils sont vraiment militarisés. On dirait des Robocops. Quand on regarde les manifestations d’il y a vingt ou trente ans, les policiers marchaient quasiment en T-shirt. Maintenant, ils sont déshumanisés, et c’est Flahs-Balls sont vraiment dangereux. Les syndicats de policiers les plus proches de l’extrême droite demandent davantage d’armes, et on a le sentiment qu’ils sont là pour protéger les gens au pouvoir et non pour servir la population.
Moll a déjà parlé d'un enquête de police dans La Nuit du 12 [+lire aussi :
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interview : Dominik Moll
fiche film]. À présent il montre la police qui enquête sur la police. "L'IGPN m’a toujours fasciné parce que personne ne sait rien de cette unité. Leurs collègues les méprisent et ils ont l’impression d’être des traîtres. Les médias disent qu’ils ne font pas leur travail. Je me suis demandé s'ils prenaient les choses au sérieux ou s'ils se contentaient de couvrir les bavures. Et comment arrivent-ils à faire ce métier en étant critiqués de toutes parts?"
"Et puis il y a toute la question de la partialité. Avec Gilles Marchand, mon coscénariste, nous nous sommes dit : et si notre enquêteuse venait de la même ville que les manifestants ? Les gens du mouvement des gilets jaunes étaient pour beaucoup de la même origine sociale que les policiers. Ils ne comprenaient pas pourquoi on les empêchaient de rencontrer Macron.
Pour le personnage de Stéphanie, Drucker a été le premier choix du réalisateur : "Je n'ai jamais écrit un rôle spécialement pour un acteur ou une actrice, mais là, pendant l’écriture, je pensais de plus en plus à elle. J’avais travaillé avec Léa il y a dix ans, sur Des Nouvelles de la planète Mars [+lire aussi :
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fiche film], où elle avait un petit rôle. En écrivant Dossier 137, j’entendais même déjà certains dialogues avec sa voix".
Tout en poursuivant sa collaboration avec Marchand (qui a coécrit ses deux derniers films), un travail de recherches et de documentation était nécessaire. "Il a fallu lire, rencontrer des avocats, des victimes, des magistrats et des journalistes, aller voir l'IGPN. Il était clair que l'histoire devait être racontée du point de vue d’un(e) enquêteur/trice, pour avoir une vue nuancée et équilibrée de la situation. Nous avons aussi remarqué l’importance des images et vidéos des caméras de surveillance de la police ainsi que des smartphones amateurs, et vu comment la police les retrouve pour les analyser. Sauf qu'une image n’est jamais objective : tout dépend de qui la regarde".
Le cinéaste a fictionnalisé de nombreux aspects du film. "J’ai rencontré la mère d’un garçon qui a été blessé par une grenade et qui a perdu une main". Dans le film, le manifestant est blessé à la tête. "Elle n’a pas été très réceptive. Elle a demandé pourquoi l'histoire était racontée selon la perspective d’une enquêtrice de police. Nous nous sommes rencontrés, et je lui ai dit que nous n'utiliserions pas son histoire, mais en même temps, elle avait parlé à ses enfants entretemps et décidé que c’était tout de même une occasion de parler des victimes et de la violence policière."
Dans Dossier 137, un témoin dit à Stéphanie : "Vous savez bien que ça ne va rien changer". Moll a beaucoup réfléchi à cela : "C’est une vraie question : les films ont-ils le pouvoir de faire changer les choses ou est-ce qu’ils ne parlent qu’à ceux qui sont déjà d’accord avec ce qui leur est montré ? J’espère que le film va au moins donner lieu à un débat sur la présence des forces de l’ordre pendant les manifestations et les choses à changer en la matière. Notre ancien président a été accusé de corruption, et prétend qu’il est innocent. Pourquoi est-il si difficile de reconnaître ses erreurs ? Tout le monde en fait. Cela dit, mais même si les politiciens ne changent pas d'attitude, peut-être que les victimes verront le film et se diront qu'au moins, quelqu'un s'intéresse à leur souffrance".
(Traduit de l'anglais)
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