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CANNES 2025 Un Certain Regard

Anna Cazenave Cambet • Réalisatrice de Love Me Tender

"Un mélange entre une immense douceur, une fragilité à fleur de peau et une droiture, une force"

par 

- CANNES 2025 : La cinéaste française revient sur le processus qui l’a conduit à adapter et à porter au grand écran, avec Vicky Krieps dans le rôle principal, le livre de Constance Debré

Anna Cazenave Cambet • Réalisatrice de Love Me Tender

Labellisée par la Semaine de la Critique 2020 avec De l'or pour les chiens [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
, la cinéaste française Anna Cazenave Cambet fait cette fois ses vrais débuts au Festival de Cannes, au programme Un Certain Regard, avec son second long métrage Love Me Tender [+lire aussi :
critique
interview : Anna Cazenave Cambet
fiche film
]
, interprété par Vicky Krieps et adapté du livre de Constance Debré.

Cineuropa : Pourquoi avez-vous eu envie d'adapter le roman de Constance Debré ?
Anna Cazenave Cambet : Les producteurs Raphaëlle Delauche et Nicolas Sanfaute ont pensé à moi. J’ai rencontré l'autrice car c’était très important pour elle de valider la personne qui allait adapter son livre que j’’avais lu à sa sortie en 2020. Il m’avait bouleversée car j’étais alors une toute jeune maman et j'étais à la recherche de lectures qui portaient d'autres façons d'être mère, qui venaient aussi toucher des tabous sur le devoir absolu de la parentalité. Ce personnage très fort du livre était fascinant, iconique et très cinématographique, et il ouvrait chez moi de nombreuses questions à titre plus personnel.

Quels ont été vos choix en termes d'écriture, notamment le parti pris de reprendre beaucoup d'extraits du livre en voix-off ?
Ce qui m'a beaucoup touché au départ, c'est la langue de Constance Debré. Je me suis connectée tout de suite à ce rythme très saccadé, très droit, très dépouillé. Cette langue véhicule beaucoup d'émotions parce qu'elle est brute, frontale, sans fioriture. Donc je tenais à cette langue et j’ai su très vite qu’il y aurait de la voix-off dans le film. Mais il y avait aussi la question de la gestion du temps parce que l’histoire se déploie sur de longs mois qui finissent par devenir des années. C'était important qu'on puisse ressentir ce passage du temps, donc j’ai travaillé à la mise en scène avec un tournage sur plusieurs mois, afin d’avoir le sentiment de l'été, puis de l'automne, puis de l'hiver, puis de l'été de nouveau, etc., de cette boucle qui recommence sans cesse et qui exprime par la lumière la tragédie que cette mère traverse quand on lui dit par exemple qu’elle ne pourra revoir son fils que dans deux mois. La voix-off relayait aussi cela, comme des plots dans l'histoire qui permettaient de travailler l’ellipse. J'avais également envie de garder ce personnage d'écrivaine mais il fallait mettre en scène l’écriture sans que cela ne devienne une sorte de de gimmick laborieux, d'images d'elle en train d'écrire. Cette voix-off était donc au centre, d’où l'envie de conserver une partie du texte initial. Mais cela m'a aussi laissé la liberté totale de composer tous les personnages autour, d'écrire les lieux, d'inventer des situations, car le texte initial ne prenait pas en charge tout un tas de détails, ni la personnification des autres. Les filles que le personnage de Clémence rencontre, le lieu de son enfance, etc., j’ai pu vraiment les amener vers mon cinéma, vers ce qui m'intéressait.

Comment vouliez-vous traiter les sujets connectés que sont d’un côté le rapport de Clémence à la maternité et sa volonté de récupérer son fils, et de l’autre sa vie de femme amoureuse, homosexuelle qui essaye d’aimer et d’être aimée.
Je suis une personne queer, j'ai toujours eu des relations avec des personnes de genres différents et j'ai toujours vu le monde comme cela. Donc, je ne voulais pas faire de cette adaptation un énième film centré sur la question de l'homosexualité du personnage. J'avais envie au contraire, de raconter une femme et d’affirmer que le fait qu'elle soit homosexuelle ne la coupe pas de l'universalité de ce qu'elle traverse. C'était très important de réussir à connecter des spectateurs qui soient des hommes âgés, des frères, des jeunes, des hétéros, des gays, etc., de toucher à une forme d’universalité et je pense que le sujet de l'enfant le permettait. Donc j'ai essayé de traiter cette femme simplement comme un personnage qui a des amours. Que ce soit avec des femmes, c'est tout complètement décorrélé de sa maternité. Ce qui lui tombe sur la tête, c’est une sorte de cauchemar dans lequel elle va s'enfoncer. Je ne crois pas que le personnage de Laurent soit particulièrement homophobe à la base, mais il va se servir de cela parce c'est rendu possible dans notre société et pour créer des problèmes à Clémence, parce qu'il se rend compte qu'il la perd. Quand on a décidé de pourrir la vie de son ex, il y a des entrées possibles : la suspicion d’inceste, la déviance relative de la vie que la personne mène, etc. Dans le cas de Clémence, ce qui est mis sur la table, c'est sa vie d'homosexuelle qui devrait être un problème au regard d'une société réactionnaire. Peut-être que c'était une façon de connecter au personnage de Clémence des gens qui n'auraient pas du tout abordé des questions d'identité, de genre et d'identité sexuelle, et de les étonner avec le fait qu'ils s'en sentent beaucoup plus proche d’elle que ce qu’ils ne croyaient. Moi, je ne crois pas que l'identité sexuelle ou l'identité de genre soit quelque chose qui nous différencie des autres.

Quid du personnage incarnée par Vicky Krieps ?
Je tenais à avoir un personnage qui soit physique, une femme grande, assez solide, avec des épaules :  c'est un personnage de nageuse. Je trouvais intéressant qu’elle soit au moins aussi grande que les hommes et plus grande que les femmes qu'elle rencontre. Je voulais aussi la rendre iconique et la la neutralité de son genre travaillée sur tout le film apporte aussi une forme de force à un personnage qui reste extrêmement droite dans ses bottes et qui fait le choix de continuer à mener la vie qu'elle a décidé qu'elle devait mener car lui retirer la garde de son enfant est trop injuste. Et cette droiture, elle la garde sans aigreur. Elle est aussi un peu taiseuse, mystérieuse et on accède très rarement à ce qu'elle peut penser des autres. C’est un mélange entre une immense douceur, une fragilité à fleur de peau et une droiture, une force.

Quelles étaient vos principales intentions de mise en scène ?
Mon langage de cinéma s'est construit autour du plan séquence. Avec mon chef-opérateur, Kristy Baboul, nous avons ciblé les séquences dans lesquelles on pouvait déployer ce temps, donner de l'espace, s'asseoir avec les personnages et écouter le rythme interne de la scène. Il fallait éprouver les choses avec le personnage de Clémence. Quand elle attend dans une salle d'attente, ça dure et cela permettait le récit de quelqu'un d'autre. Quand elle rencontre quelqu'un dont elle va tomber amoureuse, ça dure et on est suspendu, à leurs silences, à leurs souffles, à leurs hésitations. Il fallait aussi trouver le mouvement, comment faire passer Clémence d’un espace à l'autre parce que c'est un personnage qui bouge sans cesse, qui déménage sans cesse. Kristy et moi, nous partageons en référence le cinéma de Andreï Tarkovski, de Andreï Zviaguintsev et de Cristian Mungiu. Aujourd'hui, on s'habitue de plus en plus à des montages très découpés et à un nombre très haut de plans par film, ce qui singe souvent les codes de la série. C'est quelque chose qui me déplaît un peu, même si cela convient à certains films. Mais quand on cherche à déployer une histoire tout près d'un personnage qui est de tous les plans, il faut se laisser du temps et venir se confronter à l'enjeu du plan séquence.

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