Cédric Klapisch • Réalisateur de La Venue de l’avenir
"Quand on invente une histoire, on essaie d’aller là où personne n’a jamais été, c’est l’opposé de ce que fait l’IA, qui se nourrit de ce qui a déjà été fait"
par Aurore Engelen
- CANNES 2025 : Le cinéaste français nous parle de son film généreux et populaire, une histoire de famille qui questionne notre rapport au progrès et à la modernité

Il aura fallu attendre le quinzième film de Cédric Klapisch pour le voir monter les marches du Festival de Cannes avec toute l’équipe de La Venue de l’avenir [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Cédric Klapisch
fiche film], comédie chorale et familiale comme il en a le secret, qui orchestre des allers-retours temporels entre la fin du XIXe siècle et notre présent, mettant en perspective la notion de progrès, mais aussi l’inaltérable énergie de la jeunesse. Il se livre pour Cineuropa sur ce qui l’a poussé à mettre ces deux époques en parallèle.
Cineuropa : Quelle est l’étincelle qui a fait naitre le projet ?
Cédric Klapisch : La naissance d’un projet, c’est toujours un faisceau d’idées et d’envies qui se rencontrent, c’est ça qui rend les scénarios complexes. Quand on invente une histoire, on essaie d’aller là où personne n’a jamais été, et c’est d’ailleurs l’opposé de ce que fait l’Intelligence Artificielle, qui elle se nourrit de ce qui a déjà été fait. Ici, j’avais l’envie de faire un film historique, en costumes, de retrouver certains comédiens que j’apprécie et d’en découvrir d’autres, de parler de famille et de transmission. L’idée des traces qu’on laisse à la postérité, cette période où nait l’impressionnisme, mais aussi la photographie.
D’où vient cette envie de film historique ?
J’ai été très marqué par des films comme Barry Lyndon ou Amadeus, j’ai l’impression que l’Historie fabrique du cinéma, en quelque sorte. On est plongé dans une autre époque, on convoque et imagine une esthétique qui nous est moins familière, on crée de manière plus active, peut-être. J’avais envie de me frotter à la reconstitution de décors et de costumes, et plus particulièrement pour cette époque.
Il y a une constellation d’idées qu’il faut ensuite incarner, on retrouve ici encore de nombreux jeunes gens, la jeunesse est toujours très vibrante dans vos films.
Oui, et ça m’intéressait que ce soit plutôt les personnages du passé qui soient jeunes, pour casser l’image des ancêtres poussiéreux. Et se souvenir que nos aïeux aussi ont eu 20 ans. J’aime beaucoup travailler avec de jeunes comédiens en début de carrière, comme Abraham Wapler par exemple, par qu’ils ont un enthousiasme particulier, l’enjeu est peut-être un peu plus élevé pour eux, l’envie d’exister plus forte. C’est une énergie que j’apprécie - même si c’est évidemment toujours un plaisir aussi de retrouver des acteurs qui m’accompagnent au long cours comme Zinedine Soualem ou Cécile de France.
Pourquoi avoir choisi de vous replonger dans la fin du XIXe siècle ?
C’était vraiment une intuition, je n’ai conscientisé que plus tard à quel point cette époque est proche de la nôtre, en termes d’effervescence créative, et d’accélération du progrès. Entre 1880 et 1910 sont apparus la photographie et le cinéma, Paris s’est rempli de voitures, l’électricité s’est répandue un peu partout, le métro, l’avion. Aujourd’hui, en quelques années, on a vu le développement d’internet, des smartphones, de l’IA. C’est à la fois enthousiasmant et effrayant. Cela me plaisait, cette sorte de mise en abîme, où les personnages contemporains observent ceux du siècle précédent découvrir une modernité qui est devenue notre passé.
Il y a aussi un vrai plaisir dans le film à montrer un Paris de carte postale, à user des clichés de la Capitale comme d’un langage populaire.
Oui, d’autant que le mot cliché renvoie à la photographie. Je pense qu’on ne peut pas, et qu’il ne faut pas enlever la carte postale de Paris. User des clichés n’empêche pas d’inventer de nouvelles façons de montrer Paris. C’est étrange, car j’ai l’impression que les Asiatiques ou les Américains sont beaucoup moins frileux avec ces imageries très cadrées, tout en étant très créatifs.
Votre filmographie témoigne d’une vraie prédilection pour la forme chorale, pour quelles raisons l’affectionnez-vous tant ?
C’est amusant, parce que Spike Lee était hier à Cannes, et c’est en découvrant Do the Right Thing ici au festival en 1989 que je me souviens avoir pris la mesure du pouvoir de ce format. Il y parle des tensions entre les noirs et les blancs, et au lieu d’avoir deux personnages, il en a vingt, il montre autant de façons de vivre cet affrontement, et évite tout manichéisme, il nuance le discours. J’aime cette idée de pouvoir multiplier les points de vue.
Quel était le plus grand défi pour vous avec ce film ?
La patience ! La mise en place que nécessite un film historique, c’est vraiment le contraire de ce que j’ai pu connaître sur L’Auberge espagnole ou Chacun cherche son chat, où on intégrait une part documentaire à la fiction, de manière très spontanée. Ici, il y a un grand travail de préparation, et besoin de temps sur le tournage. Si on fait un plan avec une charrette, c’est bête, mais il faut le temps de déplacer la charrette, de faire revenir le cheval. C’est une énergie différente de celles que j’ai connues.
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