Sylvain Chomet • Réalisateur de Marcel et Monsieur Pagnol
"J’aime les films qui racontent comment les gens deviennent ce qu’ils sont, qui parlent de leurs erreurs et de leurs doutes"
par Marta Bałaga
- CANNES 2025 : Le réalisateur des Triplettes de Belleville évoque le biopic d’animation qu’il consacre Marcel Pagnol, avant que ce dernier devienne l’immense auteur que l’on connaît

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fiche film], Sylvain Chomet, parle de l'écrivain et cinéaste Marcel Pagnol, un homme qui a eu au moins neufs vies.
Dans ses films précédents, Chomet se s'appuyait pas beaucoup sur les mots, mais pour Marcel et Monsieur Pagnol, c'était inévitable, car Pagnol les adorait. "J’ai fait un film en images réelles, Attila Marcel [+lire aussi :
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fiche film], où ça causait pas mal – enfin, le personnage principal ne parlait pas, mais son entourage oui", a-t-il expliqué lors d’une table ronde à Cannes.
"Dans ce film-ci, ça parle beaucoup, quand ça ne marche pas autour d’une table, or ce genre de choses ne se prête pas franchement au dessin animé. Nous avons fait exactement comme Disney. Avant d'animer le film, nous avons d'abord filmé les acteurs, en costumes, et nous leur disions : 'Ne joue pas naturellement, ou alors si, mais en exagérant à fond'."
Chomet envisageait d'abord de faire un documentaire sur Pagnol. "C’est comme cela que tout a commencé, explique-t-il. J’ai reçu un appel et la personne m'a demandé : 'Aimez-vous Marcel Pagnol ? Oui ? C'était mon grand-père'. Je me suis dit que ce devait être quelqu'un d'affreux, mais nous sommes devenus amis d'emblée. Huit ans plus tard, nous voilà à Cannes avec le film."
"Je ne connaissais pas vraiment la vie de Pagnol. Je voulais jeter un œil derrière le rideau et voir comment il est devenu le 'Marcel Pagnol' qu'on connaît tous. Je voulais répondre à cette question. Et puis j’adore les films qui racontent des luttes, des films qui montrent comment les gens deviennent ce qu'ils sont, toutes les erreurs qu’ils font, tous les doutes qu’ils ont." Ou les animaux avec lesquels ils vivaient.
"Pagnol était toujours entouré d'animaux : l'oiseau qui parle a vraiment existé, le chat a vraiment existé. Le mouton qu’ils avaient dans le studio a vraiment existé. C’est pour ça qu'il fallait que nous indiquions que c'est une histoire vraie au tout début du film. Nous n’avons pas eu à inventer : le plus gros de l'histoire était déjà là."
L’esprit de Pagnol était constamment en mouvement, dit le réalisateur. "Il était fasciné par les nouvelles technologies. Son cerveau était celui d’un ingénieur, beaucoup plus que celui d’un artiste, mais il aimait la poésie parce qu’il écrivait des poèmes pour sa maman. Il voulait l’impressionner. Plus tard, il a découvert le théâtre parce qu'à l’époque, c’était la chose à faire pour un écrivain, et puis encore après, il s’est lancé dans le cinéma."
Selon Chomet, Pagnol, qui est mort dans les années 1970, "avait un esprit d'enfant. […] C'était un passionné, il adorait tous ces nouveaux jouets qu'il a pratiqués. Quand il faisait des films, il allait partout : en salle de montage, au laboratoire... Il ouvrait les caméras pour voir comment elles marchaient. Quand il a monté son propre studio, il connaissait déjà chaque étape. C’était un cinéaste 'complet'. La seule chose qu’il n’a pas eu le loisir de faire, c’était exploiter une salle de cinéma. Il a essayé de le faire à Marseille, pendant la guerre, mais on ne l'y a pas autorisé. Il voulait avoir le contrôle de toute la chaîne de distribution, d'absolument tout. Il voulait avoir le contrôle."
Pagnol a été une influence pour de nombreux cinéastes, y compris ceux de la Nouvelle Vague française, dit Chomet. Cependant, il voulait brosser le portrait d'un être humain, pas décrire une légende. "Bien sûr qu’il fait des erreurs dans le film. Il vient à Paris avec sa femme, depuis Marseille, et elle y déteste tout : il pleut, il fait froid, ils n'arrivent même pas à trouver un hôtel. J’aime bien ses doutes, aussi : il n’est pas sûr de faire une pièce en marseillais parce qu'il craint que personne n'en comprenne un traître mot".
"Il a en fait écrit Topaze et Marius en même temps. Quand on pense aux plus grandes pièces de théâtre, on a Cyrano de Bergerac, puis Topaze et Marius. Malgré cela, Pagnol était quelqu'un d'extrêmement anxieux : à la première de ses pièces, il se cachait dans le grenier ! Il avait tellement peur. Ce que j'adore, c'est que ses amis lui faisaient des blagues en lui disant que c'était un bide."
Chomet a écrit le scénario de son film en français, mais Marcel et Monsieur Pagnol est aussi un film en anglais (intitulé A Magnificent Life, ndlt.). "J’ai réalisé les deux versions, mais nous avons d'abord tourné celle-là. C’était intéressant, parce que les questions d'accent sont très importantes dans l'histoire. Comment fait-on l'accent marseillais en anglais ? Eh bien, on a choisi l'accent gallois", dit-il en riant.
Maintenant que Chomet en a fini avec Pagnol, il va retrouver l’univers des triplettes. "Ce sera probablement ça, mon prochain film. Je vais commencer à storyboarder le mois prochain. C’est un scénario que j’ai écrit à l’époque des Triplettes de Belleville, il y a 25 ans. Ce sera dans le même esprit, avec des personnages différents. Il n’y aura pas de chien dans ce film, mais un chat. Maintenant, c'est des chats que j'aime me moquer."
(Traduit de l'anglais)
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