Lise Akoka et Romane Gueret |• Co-réalisatrices de Ma frère
“Nous voulions faire un film sur l'enfance”
par Marta Bałaga
- CANNES 2025 : Avec ce film de vacances d'été léger, mais non dépourvu de zones d'ombre, préparez-vous à partir en colo, et à faire un petit parcours introspectif

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fiche film], un film estival léger qui n'est pas non plus sans zones d'ombre. Il part de leur websérie Tu préfères ? pour nous amener en colonie de vacances, où des enfants et leurs moniteurs/trices, tout aussi perdu(e)s, ont l'occasion d'essayer de comprendre qui ils ou elles sont. Le film a été projeté dans la section Cannes Première.
Cineuropa : Les colonies de vacances, c’est l’évasion, a fortiori pour ces enfants, qui viennent de milieux défavorisés. Pourquoi ça vous a parlé, comme contexte de départ ?
Lise Akoka : Nous avions envie de filmer des enfants encore plus jeunes que ceux avec lesquels on avait travaillé dans nos films précédents, qui étaient plus des films d'ados. Nous voulions film sur l’enfance. Ces deux filles [interprétées par Shirel Nataf et Fanta Kebe], nos personnages principaux, sont soudain face à des enfants qui les renvoient un peu à ce qu’elles étaient quand elles étaient petites.
L’idée était de rendre les sensations des colonies de vacances de manière réaliste, parce qu’on passe beaucoup de temps là-bas quand on est enfant. Ça a été le cas pour nous. J’ai été mono, moi aussi. Les enfants du film viennent de la banlieue parisienne : c'était une manière de changer un peu le regard qu'on pose typiquement sur eux. Il y a des tonnes de stéréotypes autour des films de banlieue, des récits urbains qui sont toujours filmés en pleine cité. Ça avait du sens pour nous de les emmener ailleurs, dans un cadre ensoleillé.
Le soleil, les couleurs, ça vous saute au visage, là-bas. Comment appréhendez-vous le concept de film estival ?
Romane Guéret : Il y a plusieurs choses qui viennent à l’esprit parce que quand on fait des films avec autant d’enfants, sur un tel laps de temps, ça se passe forcément pendant les vacances scolaires. Après, au-delà de l'aspect pratique, c'est aussi très sympa. C'est une comédie sociale, un film joyeux, enfin nous l’espérons. Nous voulions que le tout soit porté par les enfants et être très, très ludiques. Nous voulions du soleil et des couleurs, nous voulions même une rivière. Nous avons toujours tourné l’été, à vrai dire. Apparemment, nous aimons faire des films d’été, tout simplement !
Celui-ci est étonnamment drôle. Ces enfants sont drôles. Par exemple quand ils atterrissent par hasard sur une plage nudiste et déclarent : les Français sont vraiment trop détente.
L. A. : L'écriture doit beaucoup à ces jeunes. Nous avons eu plusieurs périodes d’immersion avec eux, au centre aéré, et nous avons fait des ateliers à Montreuil. Passer tout ce temps ensemble nous a permis de créer leurs personnages, d'injecter de la vie dans les dialogues et de nous faire une idée de leurs caractéristiques physiques et de leurs histoires personnelles. C'est de tout ce va-et-vient entre les interactions réelles et l’écriture, avec Catherine Paille, notre coscénariste, qu'est né ce scénario.
Une fois le scénario écrit, nous avons commencé le casting. Ça a duré un an. Nous avons vu des milliers d'enfants avant de trouver notre équipe parfaite. C’est de la fiction, donc il nous fallait des enfants qui puissent jouer. Ils ont tous une nature très extravertie. C’est vraiment notre manière de travailler signature : écriture immersive, très long casting puis direction avec des oreillettes. Tous les enfants en avaient, et on leur donnait quelques indications, pour trouver le rythme des scènes.
Presque tous les personnages tout le monde ici a son moment. Vous vous rappelez vraiment qui est chacun d'eux.
R. G. : Nous voulions faire un film choral et en même temps, nous voulions que chaque personnage ait une trajectoire claire. Il nous a fallu longtemps pour trouver cet équilibre dans l’écriture mais souvent, les plus grosses difficultés d’écriture se résolvent au montage. Il fallait qu'on s'assure que le spectateur les reconnaisse vite – ce à quoi on a aussi pensé pendant le tournage. Le montage aussi a duré longtemps, mais je pense que nous sommes arrivées à ce qu'on voulait.
Allez-vous continuer à travailler ensemble ? C’est toujours fascinant quand les gens décident de coréaliser, car on imagine souvent le métier de cinéaste comme très porté par l'égo.
R. G. : . Tout a commencé avec un court-métrage. À l’époque, nous ne nous connaissions même pas si bien que ça. C’était il y a onze ans. Nous nous sommes un peu embarquées dans toute cette aventure ensemble, créant des projets, puis une méthode qui fonctionne de mieux en mieux. Il n’y a pas d’égo ici, tout est très complémentaire. C’est d'ailleurs notre force.
L. A. : À ce stade, nous ne comprenons même plus comment les gens peuvent faire des films tout seuls [rires]. Comment peut-on être seul, sans personne pour partager votre niveau de stress et comprendre vos problèmes ? Nous sommes devenus amis en travaillant ensemble. Je pense que c’est beaucoup mieux que dans l’autre sens, quand des amis décident de travailler ensemble.
Vous avez mentionné les films de banlieue et le fait que les gens attendent certaines histoires, à partir de ce contexte. Est-il nécessaire de leur montrer qu’il y a plus à dire sur la question ?
L. A. : Quand on est constamment en train de gaver les gens des mêmes stéréotypes et de montrer les jeunes des quartiers de la même manière, c’est dommageable, y compris sur le plan politique. Ça crée une division, dans une société qui devrait, à l’inverse, se rassembler. Quand nous nous lançons dans un projet, nous voulons montrer la beauté de ces enfants, montrer qu’ils sont pleins de grâce, de poésie, d'humour, d'intelligence. C’est ce qui nous intéresse, et c’est ce que nous voulons transmettre : notre admiration et notre amour pour eux. Ça ne nous empêche pas de traiter de certaines questions problématiques, mais ce n’est pas le cœur du film.
(Traduit de l'anglais)
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