CANNES 2025 Quinzaine des Cinéastes
Thomas Ngijol • Réalisateur de Indomptables
“Mon désir, c'était d'être dans la vie, au cœur de la société camerounaise”
par Veronica Orciari
- CANNES 2025 : L'acteur-réalisateur nous parle de la manière dont il a combiné ses racines camerounaises avec le cinéma de genre pour livrer un polar intime qui mêle enquête, famille et musique

Porté par l’instinct, la sincérité et le cœur, Indomptables [+lire aussi :
critique
interview : Thomas Ngijol
fiche film] s’inspire du documentaire Un crime à Abidjan de Mosco Boucault (1999). Né à Paris, l’acteur-réalisateur Thomas Ngijol, qui joue également dans le film, est d’origine camerounaise et l’action du film présenté à la Quinzaine des Cinéastes du 78e Festival de Cannes, se déroule donc au Cameroun.
Cineuropa : Pourriez-vous expliquer la genèse du film ? Le passage de la Côte d’Ivoire (où s'ancrait le documentaire originel) au Cameroun a-t-il été motivé uniquement par des raisons personnelles ?
Thomas Ngijol : J’avais besoin de raconter cette histoire, parce qu’elle faisait partie de moi. C’était lié à beaucoup de choses : mon rapport à la communication, à la transmission, à l’héritage culturel. Il y avait une foule de sujets que je me sentais le besoin d’aborder, parce que je les avais déjà effleurés dans mon spectacle de stand-up, mais à travers le prisme de mes enfants. Cette fois, j’avais envie de régler certaines choses pour moi. Alors je me suis reconnecté à l’enfant que j’étais face à mes parents et j’ai eu envie de mêler ça à un récit de type polar, parce que ce genre permet d’installer une tension forte, et de croiser cette dimension intime avec une intrigue plus structurée. Il n'y avait pas d'autre choix que d'aller au Cameroun, et surtout de faire un film 100 % africain, parce que si je l'avais fait en France, comme je suis lié à l'immigration, on aurait été dans d'autres problématiques, et je ne voulais pas tout ça. Je voulais un sujet qui soit universel, qui soit compris par tout le monde. Je ne voulais pas qu'un autre sujet s'immisce qui ne soit pas le sujet du film.
Dans Indomptables, vous avez une nouvelle fois assuré à la fois la réalisation et l’interprétation. Quelles leçons tirées de vos expériences passées avez-vous apportées sur ce tournage, et qu’avez-vous appris de nouveau pendant ce tournage ?
J’ai appris, grâce à mes films précédents, à faire davantage confiance à mon instinct. Cela m’a permis d’être plus à l’écoute de mes sensations, de mieux me mettre à la place des acteurs et d’être présent à leurs côtés. Ce sont des choses que j’ai vraiment intégrées au fil des tournages. Sur ce film, j’ai surtout compris que personne ne s'attendait à ce que j'aille dans cette direction. Les gens imaginaient plutôt que je réaliserais une comédie. Et pourtant, aujourd’hui, je suis à Cannes, et le film a un distributeur. Cela montre qu’il faut suivre ses envies, quand elles viennent du cœur. Ce ne sont pas des décisions fondées sur un calcul ou sur l’intérêt commercial : ce sont des élans sincères, comme une envie soudaine de crêpes au Nutella. On ne résiste pas, on y va. Même si ce métier fait partie d’une industrie, il est important d’écouter ses envies, du moment qu’elles sont honnêtes et raisonnables.
Dans ce film, vous avez opté pour un mélange de comédie et de drame. Comment avez-vous trouvé le bon équilibre ?
Mon désir, c'était d'être dans la vie, au cœur de la société camerounaise. Je ne dirais pas qu’elle est théâtrale, mais ce sont des personnages très marqués, ce sont des figures. J’ai simplement cherché à rester juste, car à partir du moment où on est juste, on est dans le flux de la vie, et la vie, ce sont des montagnes russes émotionnelles : parfois on rit beaucoup, parfois on est triste et ce qui, dans un moment difficile, peut devenir drôle, peut à un autre moment ne pas l’être du tout.
Votre film comprend une bande originale qui fait même une incursion du côté de Marvin Gaye... Quelle place la musique a-t-elle occupée dans votre démarche artistique ?
J'ai travaillé avec un compositeur qui s'appelle Dany Synthé, qui un ami et un très gros producteur, ici en France. Il travaille avec les plus grands artistes français, principalement des artistes de musique urbaine, de rap, et aussi de musique afro. Je me suis dit "il faut que je lui en parle", parce qu'il va amener une modernité et s'assurera qu'on ne tombe pas dans le cliché. Je lui en ai donc parlé et ça lui a plu, parce que le challenge était intéressant : on était tous les deux gagnants. J'ai passé beaucoup de temps en studio avec lui et j'ai fait partie de la création. Je ne suis pas du tout musicien et j'ai trouvé ces moments incroyables, parce que ma sensibilité a été écoutée. Il a clairement un talent exceptionnel, et la musique est un pilier du film.
Le film explore deux grands thèmes : l’enquête et les dynamiques familiales. Lequel a été le plus difficile à mettre en scène ?
L'aspect familial, parce que c'était le plus intime pour moi, donc le plus dur à rendre et à jouer. Ce n’était pas évident, parce qu’il fallait être sincère avec des situations qui ne sont pas forcément très graves. Ce n’est pas Festen, pour prendre un exemple de film. Il n’est pas question ici de drames extrêmes ou de révélations fracassantes, mais plutôt d’incompréhensions, de silences et de distances au sein de la famille. C’est plus subtil, plus diffus, or cette lourdeur-là était difficile à rendre, à jouer, à faire cohabiter avec le reste. C’était ça, le vrai défi pour moi, et je pense que ça a fonctionné.
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