Pedro Pinho • Réalisateur de Le Rire et le couteau
“Je fais beaucoup de casting sur Instagram, je ne me suis créé un compte Instagram que pour ça !”
par David Katz
- CANNES 2025 : Le cinéaste portugais nous parle de son nouveau film, épique et complexe, sur un chargé de mission pour une ONG envoyé en Guinée-Bissau, qui s’y casse le nez

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fiche film] de Pedro Pinho, présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard, a attiré les critiques en masse, malgré sa durée de 211 minutes et le fait que la première du film soit programmée le premier week-end du festival, toujours très chargé. L'ambition de Pinho, qui ne craint pas de creuser des sujets complexes sur une durée épique, s'avère ici payante, et le film s'inscrit bien dans la continuité de ce qu'il avait fait en 2017 avec L'Usine de rien [+lire aussi :
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fiche film], une "comédie musicale néo-réaliste" qui a eu un parcours formidable dans les festivals et qui a très bien fonctionné dans certains pays où est sorti.
Le Rire et le couteau suit Sérgio (Sérgio Coragem), un ingénieur environnemental envoyé en mission en Guinée-Bissau pour superviser l’installation d'une nouvelle infrastructure routière. Cependant, malgré sa compétence dans son domaine, il a du mal à trouver sa place dans la communauté des expats, et les "blessures" du néo-colonialisme, pour citer la note d’intention de Pinho, sont révélées. Le réalisateur portugais nous en dit plus.
Cineuropa : Avez-vous construit vos personnages principaux, Sérgio et Diára, autour des acteurs qui les jouent ?
Pedro Pinho : Nous avions nos trois personnages principaux, bien conçus et écrits, mais je savais que n'allais pouvoir déterminer pleinement, et écrire, leurs aspects dramaturgiques qu'après avoir trouvé des corps de chair et de sang leur donner vie. Je voulais que le personnage masculin soit un ingénieur environnemental parce que cette histoire est un peu partie de là, de quelque chose que j’ai vécu par le passé en Guinée-Bissau, en préparant un documentaire. Un ami nous a accompagnés, moi et mon partenaire de l'époque, au nord de la Guinée-Bissau, où il a trouvé un travail comme ingénieur environnemental pour une ONG. L'idée est née de ça : c'est un travail tellement précis dans ses gestes.
J'ai élaboré Diára à partir d’un certain nombre de personnes que j’avais déjà rencontrées, en Guinée-Bissau mais pas seulement. J'ai une amie très proche, qui est beaucoup plus âgée que le personnage, mais qui fait le même travail au Cap-Vert, alors j'ai aussi copié certaines de ses caractéristiques. Jonathan Guilherme a été le plus difficile à trouver. J’avais déjà rencontré tous les gens de la communauté queer de Bissau qui sont dans le film, mais on avait encore du chemin à faire, de sorte que j’ai commencé à chercher quelqu’un d'ailleurs, du Brésil, qui puisse incarner ce sentiment de déplacement qu’ils ont tous. Un jour, en consultant l’Instagram d’un acteur, j'ai répéré un ami de cet acteur : c'était Jonathan [Guilherme]. Bien qu'il ne soit pas comédien, je me suis mis à le suivre, et je suis tombé totalement amoureux.
J’entends plus de plus en plus de réalisateurs mentionner Instagram comme bon moyen de trouver des interprètes pour ce genre de rôle, par rapport aux listings et banques de données traditionnels.
Je fais beaucoup de casting sur Instagram. Je ne me suis créé un compte que pour ça !
Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont le film décrit les inégalités maintenues entre l’Europe et l’Afrique, et comment elles sont facilitées par le capitalisme moderne ? Je suppose que c’est réaliste de montrer que les efforts des ONG sont vains.
C’est un des thèmes centraux du film : la relation entre l’Europe et le reste du monde, la domination et l'hégémonie de l’Europe ailleurs dans le monde. Je pense qu'elle se perpétue de différentes manières, notamment à travers le pouvoir qu'ont l'Europe et l'Occident à travers la coopération internationale : les ONG, les constructions d'infrastructures, tout ça. L'élément principal n'est pas que ces infrastructures sont très nécessaires et très importantes, mais la manière dont le relation perpétue ce qu’on pourrait appeler un "néocolonialisme". Avec ce film, je voulais examiner les mécanismes sur lesquels tout cela repose et observer les personnages dans cet environnement.
En quoi l’identité sexuelle fluide de Sérgio (sa bisexualité) est-elle liée à tout ce qu’il traverse dans ce travail compliqué ? Je pense que c’est un mystère pour le public, et pour lui aussi.
Il y a un lien direct en ce que ces déséquilibres de pouvoir sont cachés. Ils sont toujours liés au désir aussi, d'une manière ou d'une autre, et ce n’est pas difficile de trouver des expats qui commentent la facilité de l'accès aux corps, là-bas. Ça fait très forte impression aux gens qui vont là-bas pour travailler. De nouveau, j’ai cherché cette communauté de gens qui vont travailler pour des ONG et sont comme moi à bien des égards, dans leurs croyances et leur système moral et éthique, mais se trouvent soudain dans une situation où ça devient une composante très forte. Le fait qu’on soit déplacé, aussi, crée un sentiment de liberté et de libération qui est connecté à la sexualité.
(Traduit de l'anglais)
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