Maïlys Vallade et Liane-Cho Han • Co-réalisateurs d'Amélie et la métaphysique des tubes
“Quand c'est dur, on trouve une manière d'aller de l'avant : c'est qu'on dit aux enfants et aux adultes”
par Marta Bałaga
- Le duo nous parle de son adaptation du roman d'Amélie Nothomb et décrit la manière dont ils ont choisi d'aborder des sujets sombres que les enfants peuvent en fait encaisser

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fiche film], présenté à Annecy après sa première à Cannes, est l'adaptation du roman d'Amélie Nothomb où l'autrice raconte son enfance au Japon. Dans le film, la petite héroïne a très envie de découvrir le monde aux côtés de Nishio-San, beaucoup plus âgée. Le lien qui les unit est spécial, mais des changements se profilent à l’horizon. Nous avons interrogé les réalisatrices du film, Maïlys Vallade et Liane-Cho Han.
Cineuropa : Vous rendez vraiment bien ici les impressions sensorielles qu’on vit très intensément, quand on est enfant.
Maïlys Vallade : Nous voulions nous concentrer sur le regard d’un(e) enfant. On a organisé une grosse séance de brainstorming avec toute l'équipe, en essayant de repenser à des souvenirs de nos enfances. C’est de là que vient la toupie en litchi.
Liane-Cho Han : Je me suis souvenu des retours de la plage, quand tout le monde dormait dans la voiture et qu'il y avait ce silence particulier. Maïlys et moi travaillons ensemble depuis dix ans. Nous avons travaillé sur différents projets, notamment Tout en haut du monde [+lire aussi :
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Amélie arrive à l’âge où la mémoire commence à se former. Un des sujets du film est la transition entre la petite enfance et le reste de l'enfance. On connaît le passage de l’enfance à l’adolescence, ou de cette dernière à l'âge adulte, mais on oublie le moment où les enfants croient qu’ils sont le centre de l’univers et d'un coup, se rendent compte que non. Ça se passe graduellement, généralement entre 2 et 3 ans. C’est pour ça qu’on les qualifie d'années terribles : elles essaient de résister [rires].
Après ce que vous venez de dire, le début du film a beaucoup plus de sens : au début, on dirait un conte de fées, avec cette petite fille convaincue qu’elle est une déesse.
L.-C. H. : Maïlys a trois enfants. J’ai un petit garçon. Nous les observons, nous vivons avec eux et oui, à un moment, ils pensent tous qu’ils sont des dieux. On s'est beaucoup inspirées de nos propres vies. Tout enfant traverse cette phase, mais Amélie reste quand même spéciale. C’est comme ça qu'elle est décrite dans le livre, mais de manière assez réaliste. Nous aurions pu faire quelque chose de plus surréaliste.
M. V. : Amélie Nothomb aime les métaphores. Ça a été difficile de traduire cette littérature philosophique et très métaphorique pour en faire quelque chose qu'un enfant puisse comprendre. Après, c’est probablement le seul livre qu’elle ait écrit pour les jeunes lecteurs. Le livre raconte les choses de manière chronologique, mais nous avons cherché une structure différente et changé certaines personnages pour nous concentrer sur le sujet de la mort, sur toutes ces nouvelles sensations et sur la culture japonaise.
L.-C. H. : On suit aussi Amélie et son évolution émotionnelle à travers les images. Au début, les couleurs sont plus vives, et puis elle vit une désillusion alors elles perdent de l'éclat. Quand on comprend qu’on n'est pas dieu, ce n’est pas la fin du monde, mais ça reste quand même quelque chose d’assez énorme pour un enfant. Ça conduit toutefois à quelque chose de beaucoup mieux : c'est là qu'on s’ouvre au monde.
Enfant, on a des amitiés intenses qu’on oublie ensuite. La relation d'Amélie avec Nishio-San est certainement fondatrice pour sa jeune personnalité. En quoi vous intéressait-elle ? tant ?
M. V. : Quand on est jeune comme ça, on est très généreux avec les autres. Et puis ce sont vraiment des âmes sœurs. Il y a quelque chose de magnétique dans la manière dont elles se comprennent. Amélie choisit de parler japonais avant de parler le français. Elle le cache, mais elle choisit en fait son identité à travers Nishio-San. Toute la structure du film s'articule autour de la connexion entre elles.
L.-C. H. : Nishio-San est spéciale, comme Amélie. Elle a perdu ses parents pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a vécu toute cette histoire, mais ce qu'on voit, si on prend la scène où elles lisent un livre ensemble, c'est qu'elle arrive à transformer le chagrin d’Amélie en quelque chose d’autre. Elle détourne sa rage.
Il y a aussi le personnage de la voisine, de sorte qu'Amélie se retrouve entre ces deux femmes. Avec Nishio-San, il est question de s'ouvrir à l'avenir, au soleil ; la voisine est fermée et reste dans le passé. Amélie doit choisir : qu’est-ce qui est mieux ? Aller de l'avant ou rester en arrière, ou sous l'eau ? Elle fait le choix qu'elle fait à cause de Nishio-San.
M. V. : La gentillesse de Nishio-San la protège.
Et elle en a besoin, parce qu’il y a beaucoup de choses qui lui semblent menaçantes : toutes ces histoires de guerre et de violence. Je ne connaissais pas ce livre, mais je connaissais Nothomb et je m’attendais à un film beaucoup plus sombre. Vouliez-vous qu'il soit plus accessible ?
M. V. : Nous voulions dire que certaines choses peuvent être dures dans la vie, mais qu’on trouve toujours une manière d’avancer. Nous voulions le dire aux enfants et aux adultes. On peut tomber, mais on peut aussi se relever. Nous adorons les histoires sombres. Nous avons cela en commun avec Amélie Nothomb.
L.-C. H. : Maïlys et moi sommes très militantes par rapport à l'idée qu'il faut confronter les enfants à des choses compliquées. Nous sommes convaincues qu'ils sont capables de gérer des sujets sérieux, comme la mort, par exemple. Nous voulons bien sûr les protéger, et pour nous en tant qu'adultes, la mort a un sens différent, mais ils voient le monde autrement. Je me souviens d’avoir vu des films qui m'ont tout simplement transpercé le cœur. C'est ça qu'on veut. On veut qu’ils s’en souviennent, après. Il y a un combat à la fin, entre deux femmes. On nous a dit qu'il faisait trop peur, mais mon fils a été captivé cette scène !
(Traduit de l'anglais)
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