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ANNECY 2025

Félix Dufour-Laperrière • Réalisateur de La Mort n'existe pas

“Les qualités et défauts du film n'ont rien à voir avec le budget dont on a disposé : on a tout donné”

par 

- Le réalisateur québécois montant nous parle de l'opération complexe qui a permis à son étrange et beau film d'animation écologique de voir le jour

Félix Dufour-Laperrière • Réalisateur de La Mort n'existe pas

Félix Dufour-Laperrière, qui fait partie d’une nouvelle vague de cinéastes québécois comprenant aussi Matthew Rankin et Miryam Charles, est en train de se façonner une niche en tant que virtuose de l’animation du groupe. Il a déjà été invité à Venise et à Rotterdam, mais le festival où il a présenté son petit dernier le mois dernier est la vitrine la plus importante à laquelle il a jamais participé, puisqu'il s'agissait de Cannes, où le perturbant et hallucinant La Mort n'existe pas [+lire aussi :
critique
interview : Félix Dufour-Laperrière
fiche film
]
a fait sa première, à la Quinzaine des Cinéastes. Cette coproduction avec la France et le Luxembourg a également concouru à Annecy la semaine dernière. À cette occasion, le réalisateur nous a parlé du travail d'animation qu'il a fait sur ce film et de ce qui l'a attiré dans les radicaux anticapitalistes déterminés à renverser l’ordre établi qu'il évoque ici.

Cineuropa : Comment avez-vous trouvé la réaction des festivaliers à Annecy, par rapport la réaction de ceux de Cannes ?
Félix Dufour-Laperrière :
Bonne question. C’est un genre de stress différent. Pour la première mondiale du film à Cannes, c’était un privilège de passer ce seuil, d’amener un film aussi ancré dans la culture de l'image animée et adhérant aussi profondément à une mise en scène spécifique à l'animation pour le partager avec un public de cinéphiles généralistes à Cannes. Le film est clivant, à certains égards, mais c'est inévitable quand on aborde de tels sujets et qu'on propose une telle approche formelle.

À Annecy, les gens savent mieux comment fonctionne l'animation. Ils savent, et ils voient l’artisanat à l'œuvre. Après, c’est aussi un public qui aime rire, or ce film n’est pas drôle, mais la séance s'est très bien passée : la tension était là, l’énergie était bonne, et le public très attentif. Si le film ne plaît pas à tout le monde, je suppose que c'est normal.

Votre travail précédent proposait des éléments documentaires rigoureux à côté de l’animation. Qu’est-ce qui vous a amené à vous tourner vers un cinéma plus spectaculaire, avec des personnages jeunes auxquels on se rapporte aisément ?
Je voulais explorer la tension entre jouer et ne pas jouer, entre la violence et l'attention qu'on doit porter aux choses qu'on aime. Je me suis dit qu'une intrigue plus structurée serait une bonne approche et d'ailleurs, mon prochain film sera encore plus articulé autour d'une intrigue – je travaille encore plus sur les arcs narratifs, juste pour explorer différentes choses. Mais ça dépend du projet.

Pourquoi avez-vous voulu centrer le film sur une cellule de militants désireux de protéger l’environnement ? Avez-vous été inspiré par des groupes comme Just Stop Oil and Extinction Rebellion?
Ils pensent clairement à l’urgence climatique, mais l'urgence est aussi anti-capitaliste. Dans leur esprit, et à mes yeux, les deux sont totalement liés. J’ai essayé de créer un certain niveau d’intensité, de manière à ce que le spectateur se mette lui aussi à réfléchir à la question de la loyauté et de l'honneur à rendre à nos connexions, et à la préservation de ce qu’on aime.

Je voulais que le personnage principal, Manon, se reconnaisse un peu dans la vieille dame qui est la cible ultime de la cellule, qu'elle se trouve quelque chose de commun avec elle, C'est pour ça qu'elle est impossible à filmer en images réelles, et ça ressort aussi dans l’approche formelle, avec des personnages étrangement intégrés aux fonds : ils ne se détachent pas complètement, parce qu’ils font partie du contexte.

Comment avez-vous préparé puis créé ce style d’animation très onirique ?
Nous avons tout fait avec un budget modeste : 2,8 millions d’euros. C’est beaucoup d’argent si on veut acheter une maison, mais c’est normal voire assez bas pour un long-métrage d’animation. Mais honnêtement, les qualités et les défauts du film n'ont rien à voir avec le budget dont on a disposé : on a tout donné. Les défauts sont de notre faute.

Pendant la phase de développement, sur un an et demi, j’ai travaillé seul avec mon animatrice principale, Yoo-Jin Park. J’ai fait les premiers fonds, et puis nous avons réalisé une animatique très précise. Après cela, nous avons travaillé presque trois ans à Montréal avec une équipe de vingt-cinq personnes, puis huit mois à Paris avec une équipe de quinze. Nous avons fait douze dessins par seconde sur une tablette graphique. Tout est dessiné à la main et nous n’avons utilisé aucune référence aux images réelles. Nous aimons l’instabilité, les imperfections et l’imprévisibilité du dessin.

Chaque séquence a sa palette de couleurs limitée, et j'aime bien l'idée que l'histoire, le personnage, le contexte et les idées émanent d'un champ de couleurs précis. La tension entre figuration et abstraction a pour moi quelque chose à voir avec le radicalisme des convictions des personnages. Ça révèle des choses tout en effaçant quelque chose.

Quels animateurs en particulier vous ont inspiré et donné envie travailler dans ce domaine ?
Ma porte d’entrée dans l’animation a été Jan Švankmajer, le surréaliste tchèque. Quand j’étais jeune homme, à l'âge de 18 ans disons, j'adorais le cinéma mais je n'étais pas très attiré par le chaos d’un tournage de film en images réelles. Là, dans ma petite ville, j’ai eu la chance de tomber sur lui au magasin de DVD local dans ma petite ville : c'était du fait main, mais c'était tellement fort. Je me suis dit : "Tiens donc : on on peut faire ces choses très fortes seul dans une pièce. C'est dingue". Et par chance, nous avons une très belle tradition d’animation à Montréal, avec le National Film Board et la Cinémathèque québécoise.

(Traduit de l'anglais)

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