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TRANSYLVANIE 2025

Orkhan Aghazadeh • Réalisateur de Le Retour du projectionniste

“C'est une histoire de persévérance, malgré les obstacles”

par 

- Le réalisateur azerbaïdjanais résidant à Paris nous révèle quelques détails sur son premier long documentaire, sur deux grands rêveurs cinéphiles qui vivent dans un village reculé de son pays natal

Orkhan Aghazadeh • Réalisateur de Le Retour du projectionniste
(© Transilvania International Film Festival)

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interview : Orkhan Aghazadeh
fiche film
]
, un premier long-métrage tourné par son auteur, Orkhan Aghazadeh, dans un village de montagne reculé de la région d'Astara en Azerbaïdjan, son pays d'origine, raconte l’histoire de deux hommes conquis par la magie du cinéma qui se démènent pour raviver l’émerveillement qu’il peut procurer parmi les autres villageois. Le film a été récemment projeté dans le cadre de la compétition What’s Up, Doc? du Festival international du film de Transylvanie. Nous avons profité de l’occasion pour en discuter avec Aghazadeh.

Cineuropa : Comment avez-vous connu votre personnage principal, le projectionniste Samid, et comment vous y êtes-vous pris pour qu’il vous laisse entrer dans son univers ?
Orkhan Aghazadeh :
Je l’ai rencontré quand je travaillais sur mon film de fin d’études, The Chairs. Nous faisions des repérages, l’hiver, et nous nous sommes retrouvés coincés dans le village de montagne de Sim à cause de la neige. Samid, qui vit là, nous a accueillis. Quand il a appris que nous une équipe de film, il nous a montré ses vieux équipements de projection de films, qu’il gardait en réserve depuis près de trente ans. Il était, avant, le projectionniste local, qui se déplaçait aussi dans les villages environnants pour montrer des films en utilisant un matériel portable, et il rêvait de redonner vie à cette activité. Cette rencontre m’a marqué et après avoir fini mes études à Londres, je suis retourné voir s’il était toujours là, et s'il avait toujours le même rêve. C’est comme ça que tout a commencé. Il a fallu environ deux ans et demi pour compléter et terminer le film. Après quelques voyages de recherche initiaux, j’ai rejoint la résidence de la Cinéfondation, à Paris, où j’ai rencontré un producteur allemand, puis un producteur français. Ils ont aimé le matériel que j'avais recueilli, et nous avons obtenu de l’argent pour le développement du projet. Nous avons filmé en plusieurs fois, par périodes d'une semaine ou dix jours sur différentes saisons, pour refléter la vie du village.

Et quand est-ce que l'autre personnage, le jeune Ayaz, vous a rejoints ?
Il est apparu pendant le tournage. Samid nous l'a présenté, en nous expliquant qu’il était dans l’animation et qu’il avait même participé à un festival à Bakou. C’est comme ça qu’on s'est mis à suivre leur amitié, nourrie d'admiration mutuelle, et qu'elle est devenue un nouveau fil narratif.

À un moment dans le film, on apprend que Samid a une famille, mais on ne la voit jamais à l'écran.
Sa femme n'était pas ouverte à l'idée de participer au film. Ils vivent dans la même maison, mais se parlent à peine, et elle n'est plus très stable psychologiquement, surtout depuis la mort de leur fils. Parfois, elle était aimable, d’autres fois agressive. Pour des raisons éthiques, et parce qu’elle n’a jamais donné son consentement, nous avons décidé de n’inclure aucune image de la famille. Il était préférable de ne pas insister. Heureusement, Ayaz nous a aidés à comprendre la personnalité et la vie intérieure de Samid sans avoir besoin d’entrer chez lui.

Les deux personnages ont des rêves, ou des objectifs, mais tous deux échouent, d’une certaine manière. Votre intention était-elle de vous concentrer sur le parcours accompli par eux plutôt que sur le succès de leur entreprise ?
Ce qui m’a attiré, c’était l’idée que tous deux ont des ambitions artistiques malgré les circonstances dans lesquelles ils vivent, qui ne facilitent pas les choses. Ayaz est un jeune animateur résidant dans une zone rurale, entouré par des gens qui ne le prennent pas au sérieux. Sa famille fait pression sur lui pour qu’il fasse quelque chose de plus "profitable". Le cas de Samid est similaire : c'est un excentrique incompris dans son propre village, en particulier du fait de sa situation familiale, mais leur lien qui les unit est réel. Ils peuvent parler pendant des heures et ont une entente profonde. Pour moi, c’est une histoire de persévérance malgré les obstacles. Ce n’est pas la success story typique. On parle du parcours qu'ils font, de leur passion partagée et des petites victoires qui surviennent en chemin.

Il y a un moment très beau où ils projettent une bobine retrouvée, un bout de film indien, mais ils doivent le censurer et même inventer la fin, et ça devient une performance où intervient toute leur communauté. Est-ce que vous vous attendiez à cela ?
On imaginait que quelque chose pourrait se passer. Quand ils ont trouvé ce vieux film indien, les bobines étaient dans le désordre, et il en manquait certaines. Ayaz a essayé de trouver le film en ligne, pour voir s'il pouvait être reconstitué. Ensuite, Samid a invité des villageois respectés à visionner le film chez lui pour repérer les passages "inconvenants", comme il le faisait par le passé vérifier. Nous avons suivi tout ce processus : la projection, les réactions et, enfin, le moment où la communauté s'est réunie pour créer ensemble une fin. C'est devenu une sorte de performance spontanée, un travail de mémoire collective tout à fait fascinant.

Votre film a reçu des financements français et allemands. Avez-vous cherché le soutien de l’Azerbaïdjan ?
Pas vraiment, non, parce qu’il n’y a pas de système de financement public clair ou fiable en Azerbaïdjan. Il n’y a pas de dates limites d’inscription ou de mécanismes de coproduction. Nos producteurs européens ont trouvé cela trop hasardeux pour qu’on planifie autour de ça. Heureusement, nous avons obtenu assez d'aides en France et en Allemagne pour réaliser le film avec un budget modeste.

Le film aborde le sujet du déclin de la vie communautaire dans le village, particulièrement en matière de culture. Qu’est-ce que vous avez observé pendant le tournage ?
Pendant l’ère soviétique, le cinéma et le théâtre avaient une part essentielle dans la vie en communauté. Il y avait des clubs où les gens projettaient des films, jouaient des pièces, se réunissaient. Après la chute du communisme, tout cela a cessé. Les bâtiments sont encore là, mais à présent, ils ne sont utilisés qu'occasionnellement, pour des fêtes ou des réunions administratives. Il n’y a pas d’activité culturelle régulière. La vie dans ces villages de montagne est solitaire et mélancolique, surtout pour l'ancienne génération, qui se souvient encore de comment c’était avant. Quant aux jeunes, ils ne ressentent pas le manque de ce qu’ils n’ont jamais eu.

(Traduit de l'anglais)

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