Momoko Seto • Réalisatrice de Planètes
“Quand vous regardez ce film, vous n'êtes plus humain”
par Marta Bałaga
- Dans ce film sans dialogues qui requiert du public un changement de perspective, quatre personnages étonnants se lancent dans une véritable odyssée

Dans le film franco-belge sans dialogues Planètes [+lire aussi :
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fiche film], de Momoko Seto, qui a reçu le Prix Paul Grimault au Festival d'Annecy (lire l'article) après sa première à la Semaine de la Critique de Cannes, Dendelion, Baraban, Léonto et Taraxa sont… quatre akènes de pissenlit. Après avoir survécu à une explosion nucléaire, ils se retrouvent échoués sur une étrange planète et se mettent à chercher un endroit où vivre. Mais ce sera un long parcours.
Cineuropa : A-t-il été difficile de faire en sorte que ces quatre personnages aient des personnalités, dans la mesure où ils ne peuvent pas parler et où leurs mouvements sont limités.
Momoko Seto : Avec mon coscénariste, Alain Layrac, nous voulions mettre de l'émotion dans ces akènes. Nous leur avons donné des noms parce qu'ainsi, ils deviennent un peu des amis. Le grand s'appelle Léonto. Il est plus courageux, c'est presque une figure de chef. comme un leader. Taraxa, qui ploie toujours un peu, est plus attentif à son entourage... Une fois ceci établi, nous avons travaillé avec la cheffe-animatrice Guionne Leroy, pour imaginer comment ils pouvaient bouger, et puis nous avons engagé quatre acteurs et actrices pour les incarner. Une des comédiennes a dit de Léonto : "Il n'est pas paresseux, il est généralement très énergique. Il est juste fatigué dans cette scène parce qu’il pèse plus que les autres". Elle le connaissait vraiment bien ! Guionne a eu l'idée de beaucoup de détails, comme le fait qu'ils ploient quand ils ne se sentent pas bien. Quand ils sont heureux, ils s'embrassent. Notre concepteur sonore, Nicolas Becker, a encore ajouté de l'épaisseur à l'ensemble.
Le sujet, ici, c'est en fait le cycle de la vie, et il y a de l’espoir là-dedans. Le monde peut être en ruines, et puis s'épanouir de nouveau.
C’est compliqué parce que bien sûr, on parle de renaissance, mais aussi de mort. Ce n’est pas vraiment montré dans le film : les personnages disparaissent tout simplement. On ne sait pas s’ils sont morts ou pas. Au début, la terre est détruite par les humains. Les graines représentent la possibilité du futur et de l’espoir. On peut les mettre n’importe où, elles pourront fleurir. Pour ma fille, la destruction de ma Terre était trop abstraite. La "mort" d’un des personnages l'a davantage touchée. Je lui ai dit : "On ne sait pas trop s'il meurt. Il plante sa graine quelque part. La terre va mal, mais la racine est peut-être encore là, dessous". Je viens du Japon et dans notre culture, la mort n’est pas la fin. Elle permet à quelque chose d’autre de naître. Dans la nature, l’individualité n’existe pas. Quand quelque chose meurt, c’est pour qu'une autre survive.
C’est drôle quand on y pense, mais la mort est très présente dans les films d’animation. Qu'on interroge quiconque sur ce qui l'a traumatisé(e) enfant, la personne répondra Bambi, ou quelque chose de cet acabit.
Dans Bambi ou Le Roi Lion, les parents meurent, souvent devant leurs enfants. C’est très dramatique : on voit le héros en larmes. Je ne voulais pas procéder de cette manière, mais ça a quand même un peu traumatisé ma fille ! Je vis en France, or vous les Européens, vous avez une idée de la mort toute négative. Dans ma culture, on la dramatise un peu moins.
L'univers que vous montrez est reconnaissable, mais un peu incongru et plus abstrait. Vous êtes-vous fixé des limites en prenant cette direction ?
Je voulais que les choses soient reconnaissables. J’ai réalisé quatre courts-métrages situés sur ces planètes, où quelque chose de très familier devient très étrange. Peut-être que ça se rapproche de ce que Walter Benjamin a dit sur la notion d'aura, quand on décrit quelque chose de très proche et de très lointain à la fois. J’aime ce sentiment. Ça permet de bien se rendre compte qu'une chose qu'on voit tous les jours ne ferait en fait pas tache dans un film de science-fiction.
J’adore les films d’animation qui ne s'appuient sur aucun dialogue. Votre film, comme Flow [+lire aussi :
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fiche film], montre qu'on n'en a pas besoin pour tout comprendre.
Quand on a sollicité les commissions du film, on nous demandait "Comment peut-on comprendre l’histoire ?", alors qu'il y a une foule d’exemples de films entièrement dépourvus de dialogues, de Fantasia à Minuscule [+lire aussi :
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fiche film], ou on peut aussi penser à L'Île nue (1960). Deux choses étaient très claires dans ma tête. D'abord, je voulais faire un film qui fasse que les spectateurs deviennent des graines. Vous devenez vous-même une graine : c'est une expérience, et je vous demande de vous prêter au jeu pendant une heure et quinze minutes. Les graines n'utilisent pas le langage comme nous. Les faire parler soudain aurait été trahir toute l'idée du film. Un anthropologue américain a dit qu'il faut qu'on se mettre à voir la nature comme une figure centrale. Nous ne sommes pas toujours au centre. L’arbre est central, la feuille est centrale. Il faut qu'on change de manière de les voir. Quand vous regardez ce film, vous n'êtes plus humain.
Et la deuxième chose ?
Je suis convaincue que les mots sont plus pauvres que l’expression non-verbale. En animation, voir quelqu’un pleurer ou baisser la tête a plus d'impact que lui faire dire "Je suis triste". Peut-être que ça vient de mon expérience personnelle : pendant longtemps, j'essayais d’apprendre le français et je n'arrivais pas à le parler.
Dans une des Silly Symphonies de Disney, les héros sont des arbres, mais on reste dans l'anthropomorphisme : ils ont des yeux, et leurs branches ressemblent à des bras. Ma proposition est un peu plus radicale : il faut aller au-delà, faire plus que juste se mettre à la place d'une plante. M culture, la culture japonaise, est très animiste : nous croyons que non seulement la nature, mais aussi tous les objets, ont une âme. Pendant la réalisation du film, j’ai fait venir ma famille, et mes enfants sont allés dans une école qui avait ce slogan : "Prenez soin des humains, prenez soin de la nature, prenez soin des objets autour de vous". Une chaise n'a peut-être pas d'yeux, mais elle peut générer tellement d’émotions ! Peut-être qu'elle appartenait avant à votre grand-mère et que c'est à vous, maintenant, qu'on l'a confiée. Et peut-être qu'elle a une âme maintenant.
(Traduit de l'anglais)
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